La guérison d'un possédé déclenche des réactions diverses dans l'auditoire de Jésus. La foule s'étonne. Certains réclament autre chose avant d'admettre qu'il est le Messie, "un signe venu du ciel", comme l'arrêt du soleil ou de la lune, ou un signe dans les étoiles. D'autres enfin vont plus loin : selon eux Jésus a passé un pacte avec le démon, avec Baal le Prince, Béelzébul, la vieille divinité phénicienne.
Et c'est l'occasion pour Jésus de se situer clairement face au faux "prince" de ce monde, de se situer et de nous situer, car c'est sur cela que débouche finalement son bref discours.
Jésus veut inculquer à ses disciples trois convictions :
La première, c'est que, si le démon est réellement chassé, le Règne de Dieu sûrement est là, que Dieu est à l'œuvre en lui, Jésus. Devant les prodiges accomplis par Moïse au nom de Dieu, les magiciens d'Egypte avaient su dire : "C'est le doigt de Dieu !" (Ex 8,15). Il y a maintenant plus que Moïse, et ce sont maintenant des fils d'Israël qui demeurent incrédules.
Deuxième affirmation, que Jésus présente comme une évidence : si le faux prince s'en va, c'est qu'un autre, plus fort, a réussi à le vaincre ; et cet autre, c'est Jésus Messie, par qui le Règne de Dieu fait irruption dans le monde.
Mais la troisième parole de Jésus nous concerne directement : s'il est vrai que Satan a trouvé son maître, définitivement, les suggestions du mal peuvent toujours revenir dans notre cœur si nous usons mal de notre liberté. Nous pouvons toujours tourner le dos à la victoire de Jésus ; et les rechutes peuvent être très lourdes.
La conclusion, Jésus lui-même nous la souffle, et elle tiendrait en une phrase : il est urgent de choisir.
Opter concrètement pour le Règne de Dieu est un devoir, et pour un croyant la neutralité est impensable face à l'Évangile. Ne pas choisir, c'est déjà trahir : "celui qui n'est pas avec moi, disperse" ; celui qui n'aide pas, positivement, le Berger, travaille déjà à disperser le troupeau ; celui qui n'œuvre pas pour l'unité déchire, pour sa part, le tissu de la vie fraternelle.
Paroles abruptes de Jésus, qui nous tiennent "éveillés en la foi".
Paroles qui n'effacent pas le message de miséricorde, car, nous le savons, même nos refus, même nos inerties, même nos rechutes n'arrêteront jamais le Berger qui nous cherche.
Jésus, qui a déjà su "balayer notre maison" et l'arranger pour qu'elle soit heureuse et accueillante, saura bien en retrouver le chemin.
(…) Jésus descend les deux petites marches du seuil et s’avance, droit, sévère et calme. Il s’arrête juste en face du groupe des scribes et des pharisiens, les fixe d’un regard perçant et dit :
« Même sur la terre, on voit qu’un royaume divisé en factions opposées s’affaiblit intérieurement. C’est une proie facile pour les états voisins qui le dévastent pour le réduire en esclavage. Sur la terre aussi, on voit qu’une cité divisée en factions opposées perd sa prospérité, et il en est de même d’une famille dont les membres sont divisés par la haine. Elle s’effrite et devient un émiettement qui ne sert à personne et qui fait la risée de ses concitoyens. La concorde n’est pas seulement un devoir, mais une habileté, car elle garde les hommes indépendants, forts et aimants. C’est à cela que devraient réfléchir les patriotes, les habitants de la même ville ou les membres d’une même famille quand, poussés par le désir d’un intérêt particulier, ils sont amenés à des séparations et à des vexations, qui sont toujours dangereuses parce qu’elles opposent les groupes les uns aux autres et détruisent les affections.
C’est cette habileté que mettent en œuvre ceux qui sont les maîtres du monde. Observez Rome et son indéniable puissance, si pénible pour nous. Elle domine le monde, mais elle est unie dans un même dessein, une seule volonté : “ dominer ”. Même parmi eux, il doit sûrement y avoir des désaccords, des antipathies, des révoltes. Mais cela reste au fond. A la surface, c’est un seul bloc, sans failles, sans troubles. Tous veulent la même chose et y parviennent parce qu’ils la veulent. Et ils réussiront, tant qu’ils voudront la même chose.
Prenez cet exemple humain d’une habile cohésion et réfléchissez : si ces enfants du siècle sont ainsi, qu’est-ce que ne sera pas Satan ? Eux, pour nous, sont des satans, mais leur diabolisme de païens n’est rien en comparaison du satanisme parfait de Satan et de ses démons. Là, dans ce royaume éternel, sans siècles, sans fin, sans limite de ruse et de méchanceté, là où on jouit de nuire à Dieu et aux hommes – nuire est leur respiration, leur douloureuse jouissance, unique, atroce –, la fusion des esprits s’est opérée avec une perfection maudite, car tous sont unis par une seule volonté : “ nuire ”.
Maintenant si – comme vous voulez le soutenir pour insinuer des doutes sur ma puissance – Satan est celui qui m’aide parce que je serais un Belzébuth inférieur, le résultat n’est-il pas que Satan est en désaccord avec lui-même et avec ses démons, puisqu’il chasse ceux-ci de ses possédés ? Et s’il y a désaccord, son royaume pourrait-il durer ? Non, impossible. Satan est tout ce qu’il y a de plus fourbe et ne se fait pas du tort à lui-même : son but est d’étendre son royaume dans les cœurs, et non pas de le réduire. Sa vie, c’est de “ dérober, nuire, mentir, blesser, troubler ”. Dérober les âmes à Dieu et la paix aux hommes. Nuire aux créatures du Père, tout en le faisant souffrir. Mentir pour dévoyer. Blesser pour jouir. Troubler parce qu’il est le Désordre. Et il ne peut changer. Son être et ses méthodes sont éternels. Mais répondez à cette question (…)