"Aimez vos ennemis", dit Jésus.
Mais peut-être disons-nous : "Moi, je n'ai pas d'ennemis. Je ne suis pas connu ; je n'ai pas de responsabilités politiques. Je n'ai pas à commander, et très peu à donner mon avis !".
C'est vrai : nous ne sommes pas vraiment en danger : personne ne menace notre vie ni notre liberté.
Et pourtant, si nous regardons en vérité ce qui se passe dans notre cœur, dans notre désir, dans notre mémoire, nous découvrons combien l'agressivité nous habite et nous travaille.
Nous n'avons pas de vrais ennemis, mais nous en voulons parfois à beaucoup de gens, lointains ou proches. Nous leur en voulons de ne pas nous reconnaître tels que nous nous voyons, de ne pas deviner ce que nous désirons, de ne pas nous accepter tel que nous sommes ; nous leur en voulons d'être eux-mêmes et de le rester.
Même quand personne n'en vient à nous haïr, nous en voulons à beaucoup de ne pas nous aimer. Même si nous n'avons pas vraiment de haine pour personne, nous laissons se rétrécir le cercle de ceux qui nous intéressent. Au-delà du cercle, très près de nous parfois, mais déjà très loin de notre cœur, nous apercevons ceux et celles dont nous n'attendons plus rien, ni affection, ni regard, ni compréhension ni sympathie.
Nous aimons "ceux qui nous aiment", nous nous attachons à ceux qui nous valorisent, nous saluons ceux qui les premiers ont fait le geste de nous saluer.
Bref, notre moi reste au centre de tout, et c'est cela que vise Jésus, car si l'on ignore la gratuité, on tourne le dos à l'amour.
Le remède existe, mais il est onéreux, et Jésus ne le cache pas : "Vous donc, soyez parfaits comme votre Père céleste est parfait".
Notre Père est parfait dans sa manière d'aimer, parce que sa tendresse est toute gratuite et sans frontières. Il n'y a pas de frontières, dans le cœur de Dieu, entre les bons et des méchants.
Il n'y a pas de cercle de privilégiés, car tous ont le privilège d'être aimés comme des fils et des filles. Même si nous n'avons pas d'ennemis acharnés, la grande affaire pour nous et de vivre vraiment comme les fils et les filles d'un tel Père, et de garder toujours dans notre cœur un peu de soleil pour tous ceux que nous côtoyons, un peu de pluie pour leur jardin et leurs semailles, une petite lumière qui les invite à entrer.
II ne suffit pas de reconnaître l'agressivité qui parasite nos sentiments, il faut surtout libérer la bonté qui en nous se cache ou s'endort.
Car on peut vivre authentiquement sans connaître la renommée et sans laisser aucune œuvre mesurable, mais on aura tout manqué sur cette terre si l'on n'a pas fait à la bonté toute sa place. C'est par elle qu'on ressemble à Dieu… avec lui c'est notre air de famille.
(…) Aimez, aimez ! Aimez amis et ennemis pour être semblables à votre Père qui fait pleuvoir sur les bons et les méchants et fait luire son soleil sur les justes et les injustes ; il se réserve d’accorder un soleil et des rosées éternels, ainsi que le feu et la grêle de l’enfer quand on aura trié les bons comme des épis choisis dans les gerbes de la moisson. Il ne suffit pas d’aimer ceux qui vous aiment et de qui vous espérez quelque retour. Il n’y a guère de mérite à cela : c’est une joie et même les hommes naturellement honnêtes savent le faire. Même les publicains et les païens le font. Mais vous, aimez à la ressemblance de Dieu, et aimez par respect pour Dieu, qui est aussi le Créateur de ceux qui sont pour vous des ennemis ou des gens peu aimables. Je veux en vous la perfection de l’amour, et c’est pourquoi je vous dis : “ Soyez parfaits comme votre Père qui est dans les Cieux est parfait. ” (…)