52.1 Je vois une maison, une maison orientale typique : un cube blanc plus large que haut, avec de rares ouvertures, surmonté, en guise de toit, d’une terrasse entourée d’un muret d’un mètre environ. Une tonnelle de vigne qui grimpe jusque là et étend ses rameaux, ombrage, sur plus de la moitié, cette terrasse ensoleillée.
Un escalier extérieur monte le long de la façade au niveau d’une porte qui s’ouvre à mi-hauteur de la façade. Au-dessous, au niveau du sol, s’ouvrent des portes basses et rares, pas plus de deux de chaque côté, qui donnent accès à des pièces basses et sombres. La maison s’élève au milieu d’une espèce de cour – ou plutôt une étendue d’herbe –, au centre de laquelle se trouve un puits. Il y a des figuiers et des pommiers. La maison donne sur la route, mais en est un peu en retrait et un sentier traverse l’herbe jusqu’à la route qui semble être une voie importante.
On dirait que la maison est à la périphérie de Cana : c’est une maison de paysans propriétaires qui vivent au milieu de leur petit domaine. La campagne s’étend au-delà de la maison et forme au loin une tranquille verdure. Il fait un beau soleil et l’azur du ciel est très pur. Au début, je ne vois rien d’autre. Il y a seulement la maison.
52.2 Puis je vois deux femmes, portant de longs vêtements et un manteau qui sert aussi de voile, s’avancer sur la route puis prendre le sentier. L’une est plus âgée, cinquante ans environ, en habits foncés de couleur fauve marron, comme de laine naturelle. L’autre porte des vêtements plus clairs, avec un habit d’un jaune pâle et un manteau bleu. Elle semble avoir à peu près trente-cinq ans. Très belle, svelte, elle a une contenance pleine de dignité bien que toute gentillesse et humilité. Quand elle est plus proche, je remarque la couleur pâle de son visage, ses yeux bleus et les cheveux blonds qui sortent du voile sur son front. Je reconnais Marie la très sainte. Qui est l’autre, brune et plus âgée, je ne sais. Elles discutent et la Vierge sourit. Quand elles arrivent tout près de la maison, un homme sûrement chargé de guetter les arrivants va prévenir, et des hommes et des femmes, tous en habits de fête, viennent à leur rencontre. Tout le monde leur fait fête, et surtout à Marie la très sainte.
L’heure semble matinale, je dirais vers les neuf heures, peut-être même plus tôt, car la campagne a encore cet aspect de fraîcheur des premières heures du jour : il reste de la rosée qui rend l’herbe plus verte et la poussière n’obscurcit pas encore l’air. La saison me paraît printanière car l’herbe des prés n’est pas brûlée par le soleil d’été et, dans les champs, les blés sont en herbe, sans épis, tout verts. Les feuilles du figuier et du pommier sont vertes et encore tendres, et la vigne de même. Mais je ne vois pas de fleurs sur le pommier et pas davantage de fruits, ni sur le figuier ni sur la vigne. C’est que le pommier a déjà fleuri depuis peu, mais on n’en voit pas encore les petits fruits.
52.3 Marie, très fêtée et accompagnée par un homme âgé qui doit être le maître de maison, gravit l’escalier extérieur et pénètre dans une grande salle qui paraît occuper tout l’étage, ou du moins une grande partie.
Je crois comprendre que les pièces du rez-de-chaussée sont les vraies pièces d’habitation, les garde-manger, les débarras et les celliers et que l’étage est réservé à des usages spéciaux comme des fêtes exceptionnelles ou à des travaux qui demandent beaucoup de place ou encore à l’entreposage de produits agricoles. Pour les fêtes on la débarrasse et on l’orne, comme aujourd’hui, de branches vertes, de nattes, de tables garnies.
Au centre, il y en a une très riche, avec déjà des amphores et des plats garnis de fruits posés dessus. Le long du mur, à ma droite, se trouve une autre table garnie mais moins richement. A ma gauche, une sorte de longue crédence porte des plats de fromages et d’autres aliments qui doivent être des galettes couvertes de miel et de friandises. Par terre, toujours près de ce mur, d’autres amphores et trois[102] grands vases en cuivre, plus ou moins en forme de brocs. Pour ma part, je les appellerais des jarres.
Marie écoute avec bienveillance ce que tous lui disent puis, gentiment, elle enlève son manteau et aide à terminer les préparatifs pour la table. Je la vois aller et venir, arranger les lits de table, redresser les guirlandes de fleurs, donner meilleur aspect aux coupes de fruits, veiller à ce que les lampes soient garnies d’huile. Elle sourit, et parle très peu et à voix très basse. En revanche, elle écoute beaucoup, et avec quelle patience !
Un grand bruit d’instruments de musique (peu harmonieux, en vérité) se fait entendre sur la route. Tout le monde, à l’exception de Marie, court dehors. Je vois entrer l’épouse toute parée et heureuse, entourée de parents et d’amis, à côté de l’époux qui, le premier, s’est précipité à sa rencontre.
52.4 Il se produit alors un changement dans la vision. Au lieu de la maison, je vois un village. Je ne sais si c’est Cana ou une autre bourgade voisine. Je vois aussi Jésus avec Jean et un autre qui pourrait être Jude, mais, pour ce dernier, je pourrais me tromper. Pour Jean, je ne me trompe pas. Jésus est vêtu de blanc et porte un manteau bleu foncé. En entendant le bruit de la musique, le compagnon de Jésus demande un renseignement à un homme du peuple et en fait part à Jésus.
« Allons faire plaisir à ma Mère » dit Jésus en souriant.
Il se met en route à travers champs avec ses deux compagnons, dans la direction de la maison. J’ai oublié de dire mon impression que Marie est, soit une parente, soit une grande amie des parents de l’époux, cela se voit à sa familiarité.
Quand Jésus arrive, le veilleur habituel prévient les autres. Le maître de maison, accompagné de son fils, l’époux, et de Marie, descend à la rencontre de Jésus et le salue respectueusement. Il salue aussi les deux autres et l’époux en fait de même.
Mais ce qui me plaît, c’est le salut rempli d’amour et de respect de Marie à son Fils, et réciproquement. Pas d’épanchements, mais un tel regard accompagne les mots de salutation : “ La paix soit avec toi ”, et un tel sourire qui vaut cent baisers et cent embrassements ! Le baiser tremble sur les lèvres de Marie, mais elle ne le donne pas. Elle pose seulement sa petite main blanche sur l’épaule de Jésus et effleure une boucle de sa longue chevelure. C’est la caresse d’une mère aimante mais pudique.
52.5 Jésus monte à côté de sa Mère, suivi des deux disciples et du maître de maison, et il entre dans la salle du banquet où les femmes s’activent à ajouter sièges et couverts pour les trois hôtes qu’on n’attendait pas, me semble-t-il. Je dirais que la venue de Jésus était incertaine et celle de ses deux compagnons absolument imprévue.
J’entends distinctement la voix pleine, virile, très douce du Maître dire en entrant dans la salle :
« Que la paix soit dans cette maison, et la bénédiction de Dieu sur vous tous ! »
Cette salutation pleine de majesté s’adresse à toutes les personnes présentes.
Jésus domine tout le monde par sa taille et son aspect. Il est un hôte, inattendu qui plus est, mais il donne l’impression d’être le roi de la fête, plus que l’époux, plus que le maître de maison. Tout en restant humble et avenant, c’est lui qui en impose.
Jésus prend place à la table centrale, avec l’époux, l’épouse, les parents des époux et les amis plus influents. Par respect pour le Maître, on donne des sièges aux deux disciples à la même table.
Jésus tourne le dos au mur où se trouvent les jarres et les crédences. Il ne les voit donc pas, pas plus que l’affairement du majordome autour des plats de rôti qu’on amène par une petite porte près des crédences.
J’observe une chose : hormis les mères des époux et Marie, aucune femme ne siège à cette table. Toutes les femmes se trouvent à la table le long du mur – elles font d’ailleurs beaucoup de bruit. On les sert après les époux et les hôtes de marque. Jésus se trouve à côté du maître de maison et a en vis-à-vis Marie, qui est à côté de l’épouse.
Le repas commence, et je vous assure que l’appétit ne manque pas et encore moins la soif. Deux convives mangent et boivent peu, ce sont Jésus et sa Mère, qui parle aussi très peu. Jésus parle un peu plus. Mais tout en parlant peu, il n’est, dans sa conversation, ni froid ni distant. C’est un homme courtois, mais pas bavard. Quand on l’interroge, il répond, s’intéresse à ce qu’on lui dit et donne son avis, mais ensuite il se recueille comme quelqu’un d’habitué à la méditation. Il sourit, mais ne rit jamais. S’il entend quelque plaisanterie trop osée, il fait celui qui n’entend pas. Marie se nourrit de la contemplation de son Jésus, de même que Jean, qui est au bout de la table et reste pendu aux lèvres de son Maître.
52.6 Marie s’aperçoit que les serviteurs parlent à voix basse avec le majordome et que celui-ci est gêné. Elle comprend qu’il y a quelque chose de désagréable.
« Mon Fils, dit-elle doucement en attirant l’attention de Jésus par ces mots, mon Fils, ils n’ont plus de vin.
– Femme, qu’y a-t-il, désormais, entre toi et moi ? »
Tout en disant ces mots, Jésus sourit encore plus doucement et Marie aussi, comme deux personnes qui connaissent une vérité qui est leur joyeux secret ignoré de tous.
52.8 Marie ordonne aux serviteurs :
« Faites ce qu’il vous dira. »
Marie a lu dans les yeux souriants de son Fils l’assentiment, voilé d’un grand enseignement pour tous les “ appelés ”. Jésus ordonne alors aux serviteurs :
« Remplissez d’eau les cruches. »
Je vois les serviteurs emplir les jarres de l’eau apportée du puits. (J’entends le grincement de la poulie qui fait monter et descendre le seau qui déborde). Je vois le majordome se verser un peu de ce liquide avec un regard de stupeur, le goûter avec une mimique d’un plus grand étonnement, le déguster, et s’adresser au maître de maison et à l’époux, son voisin.
Marie regarde encore son Fils et sourit ; puis, recevant un sourire de lui, elle incline la tête en rougissant légèrement. Elle est heureuse.
Un murmure traverse la salle. Les têtes se tournent vers Jésus et Marie. Certains se lèvent pour mieux voir, d’autres vont voir les jarres. Après un temps de silence, un chœur de louanges s’adresse à Jésus.
Mais lui se lève et dit une seule parole : « Remerciez Marie », puis il quitte le repas. Les disciples le suivent. Sur le seuil, il répète :
« Que la paix soit sur cette maison et la bénédiction de Dieu sur vous » et il ajoute : « Mère, je te salue. »
La vision s’arrête là.
Premier Enseignement de Jésus
Le Fils, qui n’est plus assujetti à sa Mère, accomplit pour elle son premier miracle
52.7 Jésus m’explique le sens de cette phrase ("Femme, qu’y a-t-il, désormais, entre toi et moi ?").
« Ce “ désormais ”, que beaucoup de traducteurs passent sous[103] silence, est la clé de la phrase et lui donne son vrai sens.
Je fus un fils soumis à sa mère, jusqu’au moment où la volonté de mon Père m’a indiqué que l’heure était venue d’être le Maître. A partir du moment où ma mission a commencé, je ne fus plus le fils soumis à sa mère, mais le Serviteur de Dieu. Les liens moraux qui m’unissaient à celle qui m’avait engendré étaient rompus. Ils s’étaient transformés en liens plus élevés. Ils s’étaient tous réfugiés au niveau spirituel. Mon âme appelait toujours “ Maman ” Marie, ma Sainte. L’amour n’a pas connu d’arrêt, ne s’est pas attiédi ; bien au contraire, il n’a jamais été aussi parfait que lorsque, séparé d’elle pour une seconde naissance, elle m’a donné au monde, pour le monde, comme Messie, comme Evangélisateur. Sa troisième et sublime maternité mystique, ce fut quand, dans le déchirement du Golgotha, elle m’enfanta à la croix, en faisant de moi le Rédempteur du monde.
“ Qu’y a-t-il désormais entre moi et toi ? ” J’étais d’abord à toi, rien qu’à toi. Tu m’ordonnais, je t’obéissais. Je t’étais “ soumis ”. Maintenant, j’appartiens à ma mission.
Ne l’ai-je donc pas dit[104] ? “ Quiconque a mis la main à la charrue et regarde en arrière, pour prendre congé des siens, est impropre au Royaume de Dieu. ” J’avais mis la main à la charrue pour ouvrir par le soc, non pas la terre mais les cœurs, pour y semer la parole de Dieu. Je n’ai enlevé cette main que lorsqu’on m’a arraché de là pour la clouer sur la croix et ouvrir par la torture de ce clou le cœur de mon Père en faisant sortir de la plaie le pardon pour l’humanité.
Ce “ désormais ”, oublié par la plupart, voulait dire ceci : “ Mère, tu as été tout pour moi tant que j’étais Jésus, fils de Marie de Nazareth, et tu m’es tout spirituellement ; mais, depuis que je suis le Messie attendu, j’appartiens à mon Père. Attends encore un peu et, ma mission terminée, je serai de nouveau tout à toi. Tu me recevras encore dans tes bras comme quand j’étais petit et personne ne te le disputera plus, ce Fils qui est le tien et que l’on regardera comme la honte de l’humanité, dont on te jettera la dépouille pour te couvrir toi aussi de l’opprobre d’être la mère d’un criminel. Ensuite, tu m’auras de nouveau, triomphant et puis, tu m’auras pour toujours, triomphante toi aussi, au ciel. Mais, maintenant, j’appartiens à tous ces hommes et j’appartiens au Père qui m’a envoyé vers eux. ”
Voilà ce que veut dire ce petit “ désormais ”, si chargé de signification. »
Deuxième enseignement de Jésus
52.9 Jésus m’a donné cette instruction :
« Quand j’ai dit aux disciples : “ Allons faire plaisir à ma Mère ”, j’avais donné à cette phrase un sens plus élevé qu’il ne le semblait. Je ne pensais pas à son plaisir de me voir, mais à celui d’être l’initiatrice de mon activité miraculeuse et la première bienfaitrice de l’humanité. Gardez-en toujours le souvenir. Mon premier miracle est arrivé grâce à Marie. Le premier. Cela symbolise que Marie est la clé du miracle. Je ne refuse rien à ma Mère et, grâce à sa prière, j’anticipe même le temps de la grâce. Je connais ma Mère, la seconde en bonté après Dieu. Je sais que vous faire grâce, c’est la rendre heureuse puisqu’elle est la “ Tout Amour ”. Voilà pourquoi j’ai dit, moi qui savais : “ Allons lui faire plaisir. ”
En outre, j’ai voulu rendre manifeste au monde sa puissance en même temps que la mienne. Destinée à être unie à moi dans la chair – car nous fûmes une seule chair : moi en elle, et elle autour de moi, comme des pétales de lys autour d’un pistil odorant et plein de vie –, et unie à moi dans la douleur – car nous fûmes sur la croix, moi avec ma chair, elle spirituellement, de même que le lys exhale son parfum avec sa corolle et l’essence qu’on en tire –, il était juste qu’elle me soit unie dans la puissance qui se manifeste au monde.
Je vous dis à vous ce que je disais aux invités : “ Remerciez Marie. C’est par elle que vous avez eu le Maître du miracle et que vous avez toutes mes grâces, spécialement celles du pardon. ”
Repose en paix. Nous sommes avec toi. »
[102] trois est corrigé par six sur une copie dactylographiée, mais d’une écriture qu’on ne peut attribuer avec certitude à Maria Valtorta.
[103] passent sous silence en traduisant les paroles que l’on peut lire en : Jn 2, 4.
[104] dit en : Lc 9, 62 (178.4 et 276.6).