57.1 Jésus arrive avec son cousin et les six disciples à proximité de Nazareth. Du haut du coteau où ils se trouvent, on voit la petite ville, blanche parmi la verdure, qui monte et descend au gré des déclivités sur lesquelles elle est construite. Le terrain ondule doucement. A certains endroits, c’est à peine visible, ailleurs plus accentué.
« Nous sommes arrivés, mes amis. Voici ma maison. Ma Mère est à l’intérieur car je vois la fumée qui s’élève de la maison. Peut-être fait-elle le pain. Je ne vous dis pas de rester, parce que je pense que vous avez hâte de regagner votre demeure mais, si vous voulez rompre le pain avec moi et connaître celle que Jean connaît déjà, je vous dis : “ Venez. ” »
Les six hommes, que leur séparation imminente attristait déjà, redeviennent tout joyeux et acceptent de bon cœur.
« Eh bien ! Allons-y. »
Ils descendent vivement la petite colline et prennent la grande route. Le soir est proche. Il fait encore chaud, mais déjà les ombres s’étendent sur la campagne où les blés commencent à mûrir. Ils entrent dans le village. Des femmes qui vont à la fontaine ou en reviennent, des hommes, sur le seuil de minuscules ateliers ou dans les jardins, saluent Jésus et Jude.
Les enfants se pressent autour de Jésus.
« Tu es revenu ?
– Tu vas rester ici, maintenant ?
– J’ai encore cassé la roue de mon charreton.
– Tu sais, Jésus, j’ai une petite sœur, et on l’a appelée Marie.
– Le maître m’a dit que je sais tout et que je suis un vrai fils de la Loi.
– Sarah n’est pas là, car sa maman est très malade. Elle pleure parce qu’elle a peur.
– Mon frère Isaac s’est marié, il y a eu une grande fête. »
Jésus écoute, caresse, félicite, promet de l’aide.
57.2 Ils arrivent ainsi à la maison. Avertie par un petit garçon prévenant, Marie se tient déjà sur le seuil.
« Mon Fils !
– Maman ! »
Ils tombent dans les bras l’un de l’autre. Beaucoup moins grande que Jésus, Marie, la tête appuyée en haut de la poitrine de son Fils, se blottit dans ses bras. Quant à lui, il embrasse ses cheveux blonds. Ils entrent dans la maison.
Les disciples, y compris Jude, restent au-dehors pour leur laisser la liberté de leurs premiers épanchements.
« Jésus, mon Fils ! »
La voix de Marie tremble, comme si elle avait la gorge nouée.
« Pourquoi, Maman, cette émotion ?
– Oh, mon Fils ! On m’a dit… Au Temple, il y avait des gens de Galilée, de Nazareth, ce jour-là… Ils sont revenus… et ils ont raconté… Oh, mon Fils !…
– Mais, tu le vois, Maman, je vais bien. Aucun mal ne m’est arrivé, et Dieu a été glorifié dans sa Maison.
– Oui, je le sais, Fils de mon cœur. Je sais que cela a été comme la cloche qui éveille les dormeurs. Et, pour la gloire de Dieu, j’en suis heureuse… heureuse que mon peuple s’éveille à Dieu… Je ne te ferai pas de reproche… je ne t’empêcherai pas… je te comprends… et… et je suis heureuse… mais je t’ai donné la vie, moi, mon Fils !… »
Marie est encore entourée par les bras de Jésus. Elle a parlé en tenant ses petites mains ouvertes et appuyées sur la poitrine de son Fils, la tête levée vers lui, l’œil plus brillant à cause d’une larme sur le point de couler. Puis elle se tait et appuie de nouveau sa tête sur la poitrine de Jésus. On dirait une tourterelle grise, ainsi vêtue de toile bise, à l’abri de deux grandes ailes blanches car Jésus porte encore son habit et son manteau blancs.
« Maman, pauvre Maman, Maman chérie !… »
Jésus l’embrasse encore.
57.3 Puis il ajoute :
« Eh bien ! Tu vois, je suis ici, et pas tout seul. Mes premiers disciples m’accompagnent, et j’en ai d’autres en Judée. Mon cousin Jude lui aussi est avec moi et me suit…
– Jude ?
– Oui, Jude. Je sais pourquoi tu es étonnée. Sûrement, parmi ceux qui ont parlé de cet événement, il y avait Alphée et ses fils… et je ne me trompe pas en disant qu’ils m’ont critiqué. Mais n’aie pas peur. Aujourd’hui, c’est comme cela, demain ce sera autrement. L’homme doit être cultivé comme la terre, et des roses s’épanouissent là où il y avait des épines. Jude, que tu aimes bien, est déjà avec moi.
– Où est-il en ce moment ?
– Là dehors, avec les autres. As-tu assez de pain pour tous ?
– Oui, mon Fils. Marie, femme d’Alphée, est au four, en train de défourner. Elle est très bonne avec moi, et plus particulièrement en ce moment.
– Dieu lui donnera la gloire. »
Il va à la porte et appelle :
« Jude, ta mère est ici. Venez, mes amis! »
Ils entrent et saluent. Jude embrasse Marie et court chercher sa mère.
Jésus nomme ses cinq disciples : Pierre, André, Jacques, Nathanaël, Philippe. Pour ce qui est de Jean, Marie le connaît déjà. Il l’a saluée tout de suite après Jude, s’est incliné et a reçu sa bénédiction.
57.4 Marie les salue et les invite à s’asseoir. C’est la maîtresse de maison et, tout en portant sur son Jésus un regard d’adoration – son âme continue un muet entretien avec son Fils par ses yeux –, elle s’occupe de ses hôtes. Elle voudrait leur apporter de l’eau pour qu’ils puissent se rafraîchir, mais Pierre s’écrie :
« Non, Femme, je ne peux pas te le permettre. Reste auprès de ton Fils, Mère sainte. Moi, j’irai, nous irons au jardin pour nous rafraîchir. »
Marie, femme d’Alphée, accourt, toute rouge et pleine de farine. Elle salue Jésus qui la bénit, puis conduit les six hommes au jardin, vers la vasque. Elle revient tout heureuse.
« Oh ! Marie ! Dit-elle à la Vierge, Jude m’a parlé. Comme je suis contente ! Pour Jude comme pour toi, ma belle-sœur. Je sais que les autres me gronderont. Mais peu importe. Je serai heureuse le jour où je saurai que tous appartiennent à Jésus. Nous, les mères, nous savons… nous sentons ce qui est bien pour nos enfants. Et moi, je sens que le bien de mes enfants, c’est toi, Jésus. »
Jésus lui caresse la tête en souriant.
Les disciples reviennent, et Marie, femme d’Alphée, sert le pain tout chaud, les olives, le fromage. Elle apporte une petite amphore de piquette rouge que Jésus verse à ses amis. C’est toujours Jésus qui offre et distribue.
57.5 Un peu gênés au début, les disciples prennent ensuite de l’assurance. Ils parlent de leurs maisons, du voyage à Jérusalem, des miracles que Jésus a faits. Ils sont pleins de zèle et d’affection, et Pierre essaie de se faire une alliée de Marie pour obtenir de pouvoir tout de suite rester auprès de Jésus, sans devoir attendre à Bethsaïde.
« Faites ce qu’il vous dit, lui conseille Marie avec un doux sourire. Cette attente vous sera plus utile qu’une union immédiate. Mon Jésus fait bien tout ce qu’il fait. »
L’espoir de Pierre disparaît, mais il se résigne de bonne grâce. Il demande seulement :
« Est-ce que l’attente sera longue ? »
Jésus le regarde avec un sourire, mais ne dit rien d’autre. Marie interprète ce sourire comme un signe de bienveillance :
« Simon, fils de Jonas, il sourit… aussi, je te dis : le temps de ton attente obéissante sera rapide comme le vol de l’hirondelle sur le lac.
– Merci, Femme.
57.6 – Tu ne dis rien, Jude ?… Et toi, Jean ?
– Je te regarde, Marie.
– Et moi aussi.
– Moi aussi, je vous regarde… et, savez-vous ? Il me revient à l’esprit une époque lointaine. En ce temps-là déjà, j’avais trois paires d’yeux qui s’attachaient à mon visage avec amour. Tu te souviens, Marie, de mes trois écoliers ?
– Oh ! Si je m’en souviens ! C’est vrai ! Maintenant aussi, ils sont trois, d’âge sensiblement égal. Ils te regardent avec tout leur amour. Et celui-ci, Jean, je crois, ressemble au Jésus d’alors, cheveux blonds et joues roses, et le plus jeune de tous. »
Les autres veulent savoir. On raconte des souvenirs et des anecdotes. Le temps passe et le soir arrive.
« Mes amis, je n’ai pas de pièces meublées. Mais là se trouve l’atelier où je travaillais. Si vous voulez y trouver un refuge… mais il n’y a que des bancs.
– C’est un lit confortable pour des pêcheurs habitués à dormir sur des planches étroites. Merci, Maître. Dormir sous ton toit est un honneur et une sanctification. »
Ils se retirent après maintes salutations. Jude lui aussi s’éloigne avec sa mère ; ils vont chez eux.
Jésus et Marie restent seuls dans la pièce, assis sur le coffre, à la lueur d’une petite lampe, chacun ayant le bras autour des épaules de l’autre. Jésus raconte et Marie écoute, ravie, tremblante, heureuse…
La vision cesse alors.