Les rencontres inter-religieuses au Liban

Les rencontres inter-religieuses au Liban

La présence de la Vierge Marie sécurise et facilite les rencontres inter-religieuses.

Des lieux de dialogue

- Au Liban, les deux sanctuaires mariaux les plus fréquentés par des dévots musulmans sont ceux de Harissa (nord de Beyrouth) et de Béchouate.

- Chaque année, depuis 2006, l'Annonciation est conjointement célébrée par des chrétiens et des musulmans dans l'église du collège de Jamhour, non loin de Beyrouth.

- L'année 2007 a été marquée par deux cérémonies islamo-chrétiennes organisées autour de la figure de Marie : l'une a eu lieu à l'université Saint-Joseph et l'autre, dans la salle « de conférence et de retraite spirituelle » de Harissa, le plus grand sanctuaire marial du Liban.

Etc...

Un style de rencontre

Elles se sont ouvertes par deux prières chrétienne et musulmane « séparées », suivies d'une série de discours et de chants religieux pour la paix « entre les communautés » sous le signe de la Vierge « qui unit et sécurise ».

Ces rencontres de prières sont avant tout organisées par et pour une élite de théologiens, de journalistes et d'universitaires qui, par leur statut et leur capital socioculturel, font autorité. Le public est restreint et majoritairement chrétien. Mais il ne faut pas pour autant minimiser l'impact que la multiplication de ces forums peut avoir sur la société.

Chacun d'eux fait l'objet d'une diffusion intégrale ou partielle sur les chaînes de télévision locales. La presse écrite s'en fait systématiquement l'écho. Le « dialogue », dont la Vierge est le principal symbole, est devenu un sujet quotidien dont chacun s'empare et constitue, à ce titre, un cadre de référence commun.

Une implication des hommes de religion

L'implication nouvelle et massive des hommes de religion dans ce travail de rapprochement est récente.

Avant le déclenchement de la guerre civile, les actions en faveur du dialogue étaient surtout menées par des personnalités laïques et dans des espaces séculiers, le Parlement ou encore le Cénacle libanais[1].

Les « spécialistes de religion » (prêtres, imams, cheikhs ou encore théologiens) agrippés à la préservation de la « pureté rituelle et intellectuelle » de leurs communautés respectives se montraient généralement hostiles au dialogue, perçu par eux comme une tentative de « compromis, voire même de syncrétisme religieux » (Scheffler 2002). Ce n'est qu'au lendemain des accords de paix, à partir du début des années 1990, que des clercs (chrétiens comme musulmans) s'engagent en grand nombre dans un intense travail de rapprochement inter religieux.

Ce changement d'attitude des hommes de religion doit beaucoup à la politique de Jean-Paul II. Ce dernier a su définir un cadre précis pour les « rencontres » inter religieuses, excluant toute forme de mélange ou de fusion.

La Rencontre d'Assise qu'il convoqua en 1986 en constitue le modèle.

La rencontre des pèlerins de Béchouate

À Béchouate, seule la petite chapelle qui abrite la statue de Notre-Dame de Béchouate accueille des fidèles de différentes religions. Dans cet espace partagé, fidèles musulmans et chrétiens regardent, touchent, caressent et embrassent les mêmes objets : les statues de la Vierge, le tableau de l'Assomption, l'autel et la pierre de granit rose. Un geste les distingue clairement : le signe de croix, que seuls les chrétiens accomplissent. Les musulmans sont parfois nombreux, mais ils n'organisent jamais de prière collective. Il arrive qu'un dévot demande qu'on lui laisse assez de place pour la prière, qui, dans ce lieu, consiste en deux prosternations en direction de La Mecque et deux autres en direction de la statue.

Face aux démons de la guerre, la Vierge, mobilisée pour ses qualités de pacificatrice et de rassembleuse, pourra-t-elle constituer un rempart efficace ?


[1] Le Cénacle libanais est un cercle culturel fondé en 1946 pour développer une « philosophie politique pour le Liban ». En 1965 et 1966, il a organisé des cycles de conférences sur « le christianisme et l'islam au Liban » et sur « la justice dans le christianisme et dans le Liban »


Emma Aubin-Boltanski cnrs,

Extraits de : Emma Aubin-Boltanski cnrs, Centre d'études interdisciplinaires du fait religieux, La Vierge, les chrétiens, les musulmans et la nation Liban, 2004-2007, Dans la revue « Terrain » Religion et Politique, n° 51 2008/2.