A la fin du Secret de Marie, Montfort compare Marie à l'arbre de vie.
Marie est l'arbre de vie, planté dans nos cœurs par le saint Esprit, il s'élève vers le Père des lumières, et porte pour fruit Jésus (SM 67-78).
Et, de même que l'arbre attire les oiseaux, le corps mystique se rassemble de manière vivante autour du croyant qui a trouvé son centre, en Marie l'arbre de vie qui est au centre du jardin...Tout cela se joue dans le temps jusqu'à la plénitude du Christ en son âge parfait.
Marie est liée à l'Eucharistie parce qu'elle donna au Fils de Dieu son corps et son sang, et, depuis l'incarnation, Dieu ne change pas de conduite : dans l'Eglise, il agit encore par Marie (VD 15.22). Le fruit de ses entrailles est Jésus, aussi en l'Eucharistie. Marie nous donne accès à la communion au Christ eucharistique, et c'est en ce sens aussi qu'elle est l'arbre de vie : « Partout où est Jésus, au ciel ou en terre, dans nos tabernacles ou dans nos cœurs, il est vrai de dire qu'il y est le fruit et le rapport de Marie, que Marie seule est l'arbre de vie, et que Jésus seul en est le fruit. » (ASE 204)
La présence du Christ en l'Eucharistie est un abaissement, un signe d'humilité, analogue à la kénose de l'incarnation qu'elle prolonge, l'Eucharistie est le vrai corps et le vrai sang de Jésus, et Marie est la mère par qui nous est parvenue l'Eucharistie (C 134,11). Dieu qui s'unit à la nature humaine par l'incarnation s'unit à chaque personne humaine par la Cène eucharistique.
En invitant à vivre l'Eucharistie « par » Marie, « en » Marie (SM 47 ; VD 261 etc.), quelque chose de la vie trinitaire commence à être vécu dans les relations humaines : « Je leur ai donné la gloire que tu m'as donnée, pour qu'ils soient un comme nous sommes un : moi « en » eux et toi « en » moi, afin qu'ils soient parfaits dans l'unité » (Jn 17,22-23).
Il y a trois conséquences spirituelles, que j'aborde dans ma thèse[1] :
- La communion eucharistique fait grandir cet « arbre de vie ».
- Dans cette communion, Marie supplée à nos manquements et intercède.
- Notre manière de participer au sacrifice eucharistique est de mourir à soi pour entrer dans les dispositions de Marie.
Observons surtout ici que l'acte sacramentel est reconduit à son but, la croissance de l'arbre de vie, autrement dit la croissance du Christ en nous, la croissance dans l'Esprit Saint vers le Père des lumière, la construction de l'Eglise (images des oiseaux qui sont attirés), tout cela est symbolisé par l'arbre de vie, l'arbre divin :
« Il faut arroser continuellement cet arbre divin, de ses communions, ses messes et autres prières publiques et particulières ; sans quoi cet arbre cesserait de porter du fruit. » (SM 76).
Notons que l'on peut arroser l'arbre de vie par la présence à la messe, les prières publiques et particulières : il n'y a pas que l'acte de communier !
Sans diminuer la valeur de l'acte sacramentel, Montfort situe donc cet acte dans le cadre bien plus vaste de la médiation maternelle de Marie.
Il y a là sans doute un langage pertinent pour les divorcés-remariés : ils n'ont pas accès à l'acte sacramentel, mais ils demeurent dans l'Eglise, ils ne sont pas ex-communiés, ils demeurent dans la vaste maternité de l'Eglise, en Marie, et eux aussi sont appelés à cultiver l'arbre de vie, c'est-à-dire, par Marie, la conformation au Fils de Dieu, la vie trinitaire, la vie ecclésiale.
Approfondissons encore la finale du Secret de Marie.
L'Eglise est formée autour de personnes qui ont fait l'expérience de « Dieu seul » et que c'est Dieu seul que l'on veut trouver (SM 70), il est le principe (SM 71), le brasier de charité.
Montfort invite en quelque sorte à vivre le psaume 1. Dans ce psaume, l'homme juste (le sage) ne craint pas de marcher solitaire tandis que les pécheurs sont assis ensemble, mais finalement, il se trouve intégré à l'assemblée des justes où il découvre donc qu'il n'était pas seul, mais cette découverte est un don de Dieu. Et il atteint son but, être intégré à l'assemblée. L'instinct grégaire n'est autre qu'un désir d'unité qui méconnaît la source de l'unité. Mais l'homme qui connaît la source de l'unité devient un sage, car il sait orienter son action et sa recherche, et il trouve le bonheur. De même, pour Montfort, le chrétien ne marche pas seul, cependant, il ne doit pas craindre de répondre paradoxalement à son désir d'unité par un surcroît de solitude. (ASE 200).
L'attention se déplace de l'âme singulière vers un pluriel, ceux qui sont rassemblés comme les oiseaux dans un arbre (SM 70.78), c'est l'Eglise qui se forme et se rassemble. Le cœur du chrétien où l'arbre de vie est planté devient un cœur peuplé de visages, habité par le souci du salut des hommes et par celui du Corps mystique entier. Montfort suggère donc un lien entre l'Eucharistie et l'édification de la communauté ecclésiale. La culture de l'arbre de vie crée des relations humaines vivifiées par la présence de Dieu Trinité, il en découle un grand bonheur : « Heureuse une âme en qui Marie, l'Arbre de vie, est plantée. » (SM 78)
Marie nous conduit à l'amitié avec Dieu Trinité.
L'Esprit Saint est à la plantation de l'arbre (SM 67.78), il est donc au commencement de l'Eglise. L'Esprit Saint est à la fois un feu unique et une langue de feu particulière sur chacun (Ac 2,3), l'Esprit Saint réalise l'unité et « personnalise » les personnes. La personne est au commencement de l'Eglise. Autour de chaque personne ayant accueilli Marie l'arbre de vie, se forme un rassemblement, se construit une unité, s'édifie le corps du Christ.
Comme l'arbre est orienté vers la lumière, de même l'Eglise est orientée vers le Père, vers le règne de Dieu.
Jésus est présent comme le fruit de l'arbre, cet arbre de vie situé au centre du jardin : il est le centre de l'unité et de la construction de cette Eglise qui se rassemble. Cependant il y entre l'Eglise et le Christ la distance qu'introduit la croissance de l'arbre et la maturation du fruit. Dans une autre approche, on dira que l'Eglise est l'épouse du Christ, elle communie au Christ mais le Christ est plus grand. Ceci nous invite au respect de ceux qui sont au Christ, mais ne posent pas tous les gestes sacramentels.
Le rassemblement est évoqué dans la perspective de l'éternité « dans les siècles des siècles » (SM 78) la perspective eschatologique. Ceci nous incite donc à la patience... Une patience bien utile aussi quand il s'agit de cheminer vers une situation matrimoniale la meilleure possible. Une patience dans laquelle Marie nous accompagne, et où est bienvenue l'image de l'arbre, qui grandit en un certain nombre de décennies
Abréviations :
Les abréviations des livres de Montfort sont celles des œuvres complètes, Seuil, Paris 1966, suivies du numéro du paragraphe (et non pas celui de la page)
ASE Amour de la Sagesse éternelle
C Cantiques
SM Le Secret de Marie
VD Traité de la vraie dévotion à la Vierge
[1] Françoise BREYNAERT, L'arbre de vie, symbole central de la spiritualité de Saint Louis-Marie de Montfort, éditions Paroles et silence 2006. 360 pages. https://www.amazon.fr/dp/2845733151
Plus simplement, on pourra lire :
Françoise Breynaert, Marie arbre de vie, Brive 2007 (diffusion Mediapaul), 9€, sur amazon.fr.
Françoise Breynaert