On rend attentif au fait qu’il s’agit [en Luc 1-2] de traditions relativement tardives.
Or, la forme écrite peut être relativement tardive, mais déjà constituée, la tradition ici mise en forme remonte plus haut.
Il existe de plus un critère d’une certaine importance : l’accord de deux traditions indépendantes l’une de l’autre, traditions qui rapportent chacune à leur manière les détails concernant le noyau du récit, comme nous pouvons le constater entre Matthieu et Luc, et par conséquent entre leurs sources.
Le caractère fortement judéo-chrétien de l’ensemble a son poids. […]
Nous avons aussi constaté qu’existent de fortes raisons en faveur d’une reprise tardive dans la tradition publique de ce qui a été transmis d’abord en privé. « Tardive » au sens propre est la proclamation publique, non pas le noyau même de la tradition.
Luc fait remonter les récits de la nativité à la mémoire de Marie ; il n’y a pas de raison de se méfier de lui en considération du noyau théologiquement constitué ensuite par la tradition, d’autant plus que se présente le groupe non négligeable par leur poids et leur situation propre des « frères du Seigneur » en tant que communauté porteuse de la tradition.
Concernant ce noyau,[...] ce fut seulement plus tard, à un stade précis du développement intérieur de la profession de foi chrétienne, qu’il s’avéra judicieux et nécessaire d’intégrer aussi ces traditions dans la profession de foi commune et publique de l’Église.
Cela ne peut arriver qu’au moment où pour ainsi dire le lieu intérieur est prêt, et aussi quand la distance temporelle est franchie, distance nécessaire au respect précisément dans ce domaine. […]
Le deuxième groupe des objections se rapporte à la soi-disant possibilité de déduire la représentation des mères vierges à partir des parallèles présents dans l’histoire des religions. […]
Philon propose une interprétation allégorique et morale des récits des patriarches […] : une anticipation spirituelle allant dans la direction d’une compréhension de la virginité, de son mode particulier de fécondité et de proximité divine ; il prépare ainsi un espace spirituel dans lequel le message du mystère de Noël peut s’interpréter, mais non pas un modèle de l’histoire elle-même.
Que tous les autres parallèles dans l’histoire des religions qui peuvent être obtenus ici ou là n’aboutissent pas, G. Delling l’a présenté de façon convaincante. [1] […]
Ce qui existe, ce sont des motifs apparentés qui, d’une manière ou d’une autre et d’une façon plus ou moins proche, touchent à l’affirmation chrétienne, et je ne vois là rien de négatif : ils peuvent être l’expression d’un archétype psychologique dans lequel s’exprime sous forme d’aspiration confuse, comme dans tous les archétypes authentiques, un profond savoir sur la réalité, serait-elle une réalité supra humaine, pressentie dans l’attente du cœur humain, demandée par anticipation.
La naissance virginale est aujourd’hui comme hier improbable, mais en aucun cas simplement impossible ; il n’existe aucune preuve de son impossibilité et aucun scientifique sérieux n’oserait prétendre le contraire.
Deux genres d'évaluations ferment les esprits
Le cartésianisme implicite : cette philosophie voudrait écarter le corps et la naissance hors de l’humain, et réduire le corps au pur biologique. Or le biologique aussi est humain, et à plus forte raison dans le divin-humain, rien n’est seulement « biologique ». L’exclusion du corporel vers la pure biologie, est l’antithèse de ce que la foi pense, elle qui veut parler de la spiritualité du biologique et de la corporéité du spirituel et du divin.
Un concept de Dieu et du monde, qui tient comme impropre une action terrestre et concrète de Dieu jusque dans la vie et la matière ; son champ d’influence est restreint au domaine spirituel. On arrive ainsi à une philosophie païenne ; Aristote l’a étudiée jusqu’au bout de façon singulière ; la prière, la relation à Dieu signifie chez lui « se soigner soi-même ». […]
L’alternative est la suivante : Dieu agit-il ou n’agit-il pas ?
Si tel n’est pas le cas, est-il donc véritablement « Dieu » ? Que signifie alors « Dieu » ?
La foi en Dieu qui, dans la nouvelle Création, reste vraiment le Créateur – Creator Spiritus -, appartient au centre du Nouveau Testament, en est la force motrice propre.
L’affirmation concernant la naissance de Jésus de la Vierge Marie atteste deux choses:
- d’une part, Dieu agit vraiment ;
- et d’autre part, la terre porte son fruit, justement parce qu’il agit.
Dieu n’a pas lâché la Création de ses mains. Là-dessus se fondent l’espérance, la liberté, l’abandon et la responsabilité du chrétien."
[1] « Parthénos », in: ThWNT V, 824-835.
J. Ratzinger (Pape Benoît XVI)
La fille de Sion, édition Parole et Silence 2002, p.64-71