À la fin du VIIe siècle, l’Église romaine célébrait quatre fêtes en l’honneur de la Vierge Marie (Purification, Annonciation, Assomption et Nativité). Les Églises carolingienne et anglo-saxonne favorisèrent le développement du culte marial. Les définitions dogmatiques et les grands lieux de pèlerinages marials furent un enjeu majeur dans ce développement, et, peu à peu, les sermons sur la Vierge Marie, à l’occasion des fêtes mariales, se multiplièrent, permettant une grande diffusion de la théologie mariale.
Nous donnons ici quelques exemples de sermons dédiés à la Vierge Marie
L’évêque Fulbert de Chartres[1] composa plusieurs sermons en latin, des hymnes, des poèmes et des prières, parmi lesquels figurent trois répons en l’honneur de la Nativité de Notre Dame, destinés à être chantés à l’office nocturne de cette fête le 8 septembre, et le fameux Sermon IV, pour la Nativité de la Vierge.
La littérature mystique connut au XIIe siècle un très grand développement[2]. À la faveur des fêtes liturgiques mariales, et sous l’influence des mystiques, fut également établie une interprétation du Cantique des cantiques :
« L’interprétation mariale du Cantique des cantiques a ses origines dans la liturgie, dans les textes des versets bibliques mémorisés par les moines et psalmodiés pendant les offices du cycle des fêtes mariales. Les commentateurs monastiques sont venus à l’étude de la Bible à travers les mélodies de la liturgie et, à la lecture du Cantique des cantiques, à travers les textes chantés pour la fête de l’Assomption. »[3]
La littérature mariale des sermons est dominée au XIIe siècle par la figure de saint Bernard qui, à l’occasion des fêtes mariales, a écrit de nombreux sermons, et un commentaire du Cantique des cantiques. Cependant, de nombreux prédicateurs des XIIe et XIIIe siècles ont, également, dans leurs sermons pour les fêtes, loué la Vierge Marie, mère de Dieu[4].
Comme le dit Rachel Fulton Brown[5],
« Bien que certaines images reviennent, les divers sermons et commentaires révèlent pour la plupart une doctrine mariale d’une hétérogénéité frappante. Chaque sermon et commentaire est unique, la représentation de la Vierge étant idiosyncrasique pour chaque auteur. Chacun tisse un seul fil à travers une tapisserie dévotionnelle étonnante par son éclat bigarré et parsemée de bijoux extraits du Cantique des cantiques. »
Au XIIe siècle, on peut également citer l’abbé cistercien Amédée, évêque de Lausanne, qui a écrit huit sermons sur la Vierge Marie. Il fonde ses sermons sur les sept dons du Saint-Esprit, chacun étant évoqué d’une manière prédominante dans sept événements de l’existence de la Vierge : justification, conception virginale, naissance du Christ, crucifixion, résurrection, ascension et assomption, glorification.
Au XIIIe siècle, on peut citer le dominicain Jacques de Voragine, qui a composé le Liber Marialis, opuscule dédié à la Vierge, dans lequel il consacre plusieurs chapitres à la comparaison entre Marie et des végétaux. Ces analogies vont offrir aux sermonnaires toute une série de symboles mariaux. Cette symbolique mariale- parfois poussée à l’extrême- est en conformité avec la culture médiévale, qui établissait un lien essentiel entre microcosme et macrocosme, la nature étant miroir de la création divine.
On peut également citer st Antoine de Padoue, Docteur évangélique (1195-1231) , qui a composé quatre sermons sur la Vierge Marie, à l’occasion des fêtes de la Nativité, de l’Annonciation, de la Purification et de l’Assomption. Ces sermons marials reflètent la pensée de saint Antoine de Padoue sur la Vierge Marie: bien avant la proclamation officielle du dogme de l’Immaculée Conception- qui n’a eu lieu qu’en 1854- saint Antoine de Padoue était déjà persuadé de la sainteté de Marie Immaculée de la Vierge Marie[6].
Parmi les prédicateurs du XIVe siècle qui ont prêché à l’occasion de la fête de la Conception et dont nous avons gardé trace, figure Guillaume de Sauqueville, dominicain normand peu connu, auteur de plus de cent sermons, dont quinze sont consacrés à la Vierge Marie. Deux sermons rédigés, peut-être prêchés, en l’honneur de la fête de la Conception, particulièrement fêtée en Normandie[7], grâce auxquels on peut affirmer sa position en faveur de la pratique de la fête de la Conception[8] ; cinq sermons pour l’Annonciation (25 mars, sermons 50 à 54), cinq encore pour l’Assomption (15 août, sermons 64, 65, 66 à 69) et trois pour sa Nativité (8 septembre, sermons 71 à 73). Ses sermons sont intéressants à plus d’un titre, car ils se situent dans les années 1315-1320, époque où la controverse sur la Conception de la Vierge connaît un regain d’intérêt dans le royaume de France, notamment avec Duns Scot [9].
Ces quelques exemples donnent une idée de la floraison de l’éloquence sacrée mariale et de sa diversité au Moyen Age.
Source :
-Christine Boyer. « Un sermon sur la conception de Marie par Guillaume de Sauqueville », In : Françoise Thelamon (Auteur), Collectif (Auteur), André Vauchez (Préface) . Marie et la « Fête aux Normands » : dévotion, images, Poésie. Université de Rouen, 2011.
-Rachel Fulton Brown. La Vierge Marie et le Cantique des cantiques au Moyen Age (trad.). Paris : Champion, 2022, Introduction.
- Martine Petrini-Poli . « Le sermon-modèle médiéval selon Jacques de Vitry au XIIIe siècle », In : Narthex, 2023.
- Sophie Ientile. La Vierge et la nature dans le Liber marialis de Jacques de Voragine. Université de Lyon, ENSSIB, 2010.
[1] Fondateur de la très célèbre École de Chartres, où il enseigna la théologie, la philosophie, la grammaire, la poésie, la musique, le droit canonique, les mathématiques et la médecine
[2] Surtout avec la mystique rhénane Hildegarde de Bingen (env. 1100-env. 1180), le bénédictin Guillaume de Saint-Thierry (1085 ?-1148) et son maître et ami saint Bernard de Clairvaux (1091-1153), le réformateur de Cîteaux, dont l'influence domine l'Europe.
[3] Rachel Fulton Brown. La Vierge Marie et le Cantique des cantiques au Moyen Age (trad.). Paris : Champion, 2022, Introduction.
[4] Parfois en opposition avec les enseignements de saint Bernard de Clairvaux. Celui-ci a en effet rejeté la célébration de la fête de la Conception de Marie.
[5] Rachel Fulton Brown. Op.cit.
[6] Cette si remarquable intuition fut transmise au bienheureux théologien franciscain Jean Duns Scot (1266-1308), qui lui permit de faire évoluer la pensée mariale sur ce point. Saint Antoine de Padoue est d’ailleurs cité dans la constitution apostolique ‘Ineffabilis Deus’ de Pie IX, dans laquelle le Pape proclama le dogme de l’Immaculée Conception.
[7] Lors de la célèbre « Fête aux Normands ».
[8] Les autres partisans de la célébration de la fête et de l’Immaculée Conception sont « Guillaume de Ware, Jean Olivi, qui discute l’idée d’une rédemption préservative, ou encore, à l’extérieur de l’ordre franciscain, Raymond Lulle et Pierre Paschase, qui abordent le thème de la sanctification préventive de la Vierge.» (Christine Boyer).
[9] Christine Boyer. « Un sermon sur la conception de Marie par Guillaume de Sauqueville », In : Françoise Thelamon (Auteur), Collectif (Auteur), André Vauchez (Préface) . Marie et la « Fête aux Normands » : dévotion, images, Poésie. Université de Rouen, 2011. Pp. 213-225.
-sur les sermons (littérature médiévale), dans l’Encyclopédie mariale
-sur saint Anselme de Canterbury (1033-1109) et Marie, dans l’Encyclopédie mariale
-sur sainte Hildegarde de Bingen (1098-1179), Docteur de l'Église, dans l’Encyclopédie mariale
-sur saint Bernard de Clairvaux, Docteur marial (1091-1153), dans l’Encyclopédie mariale
-sur saint Amédée de Lausanne (1110-1159), dans l’Encyclopédie mariale
-sur le Bx Jean Duns Scot (1265-1308), dans l’Encyclopédie mariale
st Antoine de Padoue, Docteur évangélique (1195-1231)
, dans l’Encyclopédie mariale-sur le Liber Marialis de Jacques de Voragine, en ligne
Isabelle Rolland