[C'est en Italie, après les premières publications du secret, qu'on interroge Mélanie Calvat sur la règle reçue de l'apparition à la Salette en 1846. L'abbé F. Bliard reçoit mandat de Mgr Petagna pour le faire. Le 3 octobre 1876, Mélanie lui répond.]
Il est bien vrai que dans l'apparition du 19 septembre 1846 sur la montagne de la Salette, la Très Vierge m'a manifesté qu'Elle voulait la création d'un nouvel ordre religieux, qu'Elle-même a désigné sous le nom d'apôtres des derniers temps. La preuve en est, soit dans la règle qu'elle m'a donnée Elle-même de vive voix, à la suite du secret, et que depuis longtemps vous possédez, soit dans la vue de cette œuvre que je décrirai tout à l'heure. [...]
Je vis les Apôtres des derniers temps avec leur costume. Ils avaient une soutane noire, [...] Sur un des bouts de la ceinture il y avait ces trois lettres, en couleur rouge : M.P.J. (Mourir pour Jésus). Sur l'autre bout il y avait ces trois lettres en couleur bleue : E.D.M. (Enfant de Marie). [...]
Je vis que les Missionnaires prêchaient, confessaient, assistaient les mourants, donnaient des retraites : aux prêtres, aux rois et à ceux qui composaient leur cour, aux grands, aux soldats, aux employés, aux pauvres, aux enfants, aux religieux, aux religieuses, aux femmes et aux vierges. Je vis, en certains endroits, des Missionnaires auprès des malades, des pauvres, des prisonniers, et baptisant des enfants et des grandes personnes.
En d'autres endroits, je vis les disciples des Apôtres des derniers temps : je compris bien clairement que ces Messieurs que j'appelle les Disciples faisaient partie de l'Ordre. [...]
Je vis donc que l'Évangile de Jésus-Christ était prêché dans toute sa pureté par toute la terre et à tous les peuples.
Je vis que les Religieuses étaient occupées à toutes sortes d'œuvres spirituelles et corporelles, et s'étendaient, comme les Missionnaires par toute la terre.
Avec elles il y avait des femmes et des filles remplies de zèle, qui aidaient les religieuses dans leurs œuvres. [...]
Je compris en Dieu que les Apôtres des derniers temps devaient marcher sur les traces des Apôtres de la primitive Église de Jésus-Christ, avec cette différence que le Supérieur général avait soin de rappeler (quand cela se pouvait faire), chaque année, les membres de l'Ordre dans la Maison centrale, pour faire une retraite de dix jours. [...]
Je vis que notre doux Sauveur regardait les ouvriers de cet Ordre avec beaucoup de complaisance, parce qu'ils servaient le bon Dieu avec un entier et complet dévouement, sans recherche d'eux-mêmes. Étant entièrement détachés de toutes les choses de la terre, ils étaient totalement entre les mains de la Providence de Dieu, remplis de foi et de confiance en Dieu.
Je vis les âmes du Purgatoire comme en fête, pour les bienfaits qu'elles recevaient des Apôtres des derniers temps et des Religieuses ; et je vis que les âmes souffrantes du Purgatoire, qui étaient délivrées ou qui avaient encore quelque chose à expier, et qui en avaient le pouvoir, priaient beaucoup, et que de nombreuses conversions se faisaient par leurs prières. Car je vis que Dieu voulait que les Missionnaires et les Religieuses de cet Ordre missent toutes leurs prières, pénitences et bonnes œuvres entre les mains de Marie, leur première Supérieure et leur Maîtresse, pour les âmes du Purgatoire, en faveur de la conversion des pécheurs du monde entier.
Je vis que cet Ordre ne recevait jamais pour Missionnaires ni pour Religieuses des personnes dont les parents avaient besoin de la charité d'autrui, ou besoin de ce fils et de cette fille pour les servir. Et quand les parents de quelqu'un des membres étaient tombés dans la misère, la Communauté [...] donnait abondamment, selon ses besoins, à cette famille. Et cela se faisait avec une grande charité, avec une grande joie, et reconnaissance envers Dieu, de ce qu'il donnait à la Communauté l'occasion de soulager les membres de Jésus, qui s'est donné à nous tout entier.
[Dans sa description plus complète de 1879, Mélanie ajoute ceci :]
Je vis que les membres de l'Ordre de la Mère de Dieu faisaient tous leurs efforts pour se dépouiller entièrement de l'esprit du siècle corrompu, s'avancer dans l'amour de Dieu et acquérir les vertus de Notre-Seigneur Jésus-Christ.
Ils avaient de très bas sentiments d'eux-mêmes.
Ils étaient très unis entre eux, n'ayant ni ambition, ni envie, ni jalousie, ne désirant en toutes choses que de plaire à leur Divin Maître ; ne désirant rien hors du Cœur de Jésus, où ils habitaient plus ou moins étroitement, selon que leur amour était plus pur et plus généreux. Cet amour de Jésus produisait en eux les fruits d'une grande obéissance, d'une profonde humilité et simplicité, d'une très grande mortification, d'un zèle très ardent, et d'un parfait abandon entre les mains du Divin Maître.
Je vis que cet Ordre était comme le foyer de toutes les œuvres, et comme un autel perpétuel où la prière était incessante pour les divers besoins de la Église, pour les âmes tièdes et pour la conversion des pécheurs du monde entier.
[En Angleterre Mgr Ginoulhiac bloque la fondation anglaise, pourtant en bonne voie. Mélanie part en Italie où Mgr Petagna, évêque du lieu, autorise Mélanie ainsi que quelques autres et des prêtres à vivre la règle dans la villa Ruffo à Castellammare. (Cette décision avait été longuement mûrie). Mgr Fava permet une congrégation à la Salette mais avec une règle bien autre, - de sorte que les religieux attiraient les pèlerins dans les auberges mais en leur disant de ne pas croire au message de l'apparition ! - Mélanie séjourne à la Salette selon le désir du pape Léon XIII, puis, devenue malade, elle retourne en Italie, où Mgr Petagna étant mort, la communauté perd son soutien et doit se disperser.
Le projet germera après ces échecs apparents.]
Extrait de René Laurentin, Michel Corteville, Découverte du Secret de la Salette, Fayard, 2002, p. 166-170