Le Jihâd islamique

Le Jihâd (Averroès)

Averroès est un écrivain musulman qui vivait en Espagne à la fin du XII° siècle. L'Espagne islamique, ce qu'on appelait Al-Andalous, se trouvait sous la pression des royaumes chrétiens du Nord.

Averroès traite de la guerre en tant que juriste explicitement dans son manuel juridique[1]. Il comprend celle-ci comme l'islam le comprend à son époque, et d'ailleurs comme l'islam tout entier l'a toujours comprise, à savoir comme une guerre très concrète.

Seuls font exception quelques rares soufis, ceux-là même qui ont inventé de toutes pièces et mis en circulation le trop fameux hadith sur le grand et le petit Jihâds, dont je rappelle ici qu'il ne figure dans aucun des six recueils canoniques de déclaration du Prophète.

Dans ce chapitre de l'œuvre juridique d'Averroès, il est en tout cas question, comme dans tout traité de fiqh, de choses militaires : quel sort faut-il réserver aux captifs ? de quelle façon convient-il de répartir le butin ? [...]

C'est aussi en tant que philosophe qu'Averroès traite de la guerre . Il lui consacre un court passage de son commentaire du livre V de l'Ethique à Nicomaque d'Aristote. Il s'agit d'une digression dans le chapitre sur l'équité. D'après Aristote, l'équité est une amélioration de la loi. La loi doit être améliorée si elle se révèle trop générale ; mais l'amélioration de celle-ci doit se produire par le fait que l'on se demande où le législateur voulait en venir à proprement parler, par conséquent, ce qu'il aurait dit dans tel ou tel cas concret. La raison pour laquelle tout n'est pas réglé par une loi est simple : dans certains cas, il est impossible de promulguer une loi, et à cause de cela, on doit prendre une décision particulière. Averroès s'attache à cela.

Les lois sur le Jihâd, dit-il, en sont un exemple éclatant.

Dans la loi se trouve le commandement général d'exterminer totalement les adversaires. Il y a cependant des époques durant lesquelles la paix est préférable à la guerre. Or, la grande masse des musulmans s'imagine que ce principe est obligatoire d'une manière générale, même si l'extermination des adversaires est impossible. Cela conduit à un grand dommage. Elle fait cela parce qu'elle méconnait l'intention du législateur.
En même temps, Averroès ne met en aucune manière en doute le caractère définitif du principe. Seule son application doit céder à un autre principe, à savoir le bien à long terme de la communauté islamique. Si celui-ci devait être mis en danger à cause de la stricte application de la loi, alors l'application de celle-ci doit être suspendue ou limitée. Le but dernier est le bien de l'islam ; en elle-même la guerre d'anéantissement est un moyen parfaitement légitime pour cela.


[1] Ibn Rushd, The distinguished Jurist's Primer, vol I, trad. Prof. Imran Ahsan Khan Nyazee, Reviewed by Prof. Muhammad Abdud Rauf, The center for Muslim Contribution to Civilisation, Reading, Garnet, 1994, chap X : The book of Jihâd, p. 454-487


Rémi BRAGUE, Au Moyen du Moyen Age. Philosophies médiévales en chrétienté, judaïsme et islam. Editions de la Transparence, Chatou 2006, p. 251-253.

N.B. Rémi Brague a reçu le prestigieux prix Ratzinger le 28 septembre 2012.