Dans son livre « Mémoire et identité », Jean-Paul II clarifie les notions de patriotisme et l'appel des nations à entrer dans l'histoire du salut[1].
Jean-Paul explique le patriotisme en lien avec le décalogue :
« Le quatrième commandement nous engage à honorer notre père et notre mère. [...] La patrie est aussi pour chacun, d'une manière particulièrement vraie, une mère. Le patrimoine spirituel qui nous est transmis par notre patrie nous parvient par notre père et notre mère, et il fonde en nous le devoir correspondant de la pietas »[2].
Par le mystère de l'Incarnation, les nations entrent dans l'histoire du salut.
Après avoir évoqué la préparation de l'Ancien Testament où le peuple d'Israël et la nation juive ont constitué le berceau du Christ, Jean-Paul II évoque la formation d'une nouvelle nation, universelle :
« "Lorsque les temps furent accomplis, Dieu a envoyé son Fils" (Galates 4,4), qui s'est fait homme par l'action du Saint-Esprit dans le sein d'une fille d'Israël, Marie de Nazareth.
Le mystère de l'Incarnation, fondement de l'Église, appartient à la théologie de la nation.
En s'incarnant, c'est-à-dire en devenant homme, le Fils consubstantiel, le Verbe éternel du Père, a ouvert la voie à un "engendrement" d'un autre ordre. C'était la génération "par l'Esprit Saint". Son fruit est notre filiation surnaturelle, notre filiation adoptive. Il ne s'agit pas ici, pour utiliser les paroles de 1'évangéliste Jean, d'une naissance "selon la chair". Il s'agit d'être engendrés "ni du sang, ni d'une volonté chamelle, ni d'une volonté d'homme, mais de Dieu" (cf. Jean 1, 13). Ceux qui naissent ainsi "de Dieu" deviennent membres de la "nation divine". [...]
"Tous les hommes sont appelés à s'agréger au nouveau Peuple de Dieu. [...] Ainsi l'unique Peuple de Dieu est présent dans toutes les nations de la terre, puisqu'il emprunte à toutes les nations ses citoyens, citoyens d'un Royaume dont le caractère n'est cependant pas terrestre, mais céleste." (Vatican II, LG 13)
En d'autres termes, cela signifie que l'histoire de toutes les nations est appelée à entrer dans l'histoire du salut. »[3]
Les nations peuvent s'unir...
« Les Français n'ont pas peur de cesser d'être français en entrant dans l'Union européenne ; il en va de même pour les Italiens, les Espagnols, etc.
Les Polonais n'ont pas, non plus, cette peur, durant cinq siècles, il y eut l'esprit polonais de l'époque des Jagellon (XII-XVII) : cet esprit permit la formation d'une République comprenant de nombreuses nations, de nombreuses cultures, de nombreuses religions. Tous les Polonais portent en eux la conscience de cette diversité religieuse et nationale. »[4]
Mais dans le respect de la loi naturelle, dans l'amour des personnes.
« La loi était essentiellement constituée par le Décalogue : les dix paroles, les dix principes de conduite, sans lesquels aucune communauté humaine, aucune nation ni même la société internationale ne peut se réaliser.
Les commandements, gravés sur les deux tables que Moïse reçut sur le Sinaï, sont en effet imprimés aussi dans le cœur de l'homme.
Saint Paul l'enseigne dans la Lettre aux Romains au sujet des païens : « La façon d'agir ordonnée par la Loi est inscrire dans leur cœur, et leur conscience en témoigne » (Rm 2, 15).
La loi divine du Décalogue a aussi une valeur obligatoire comme loi naturelle pour ceux qui n'acceptent pas la Révélation : ne pas tuer, ne pas commettre l'adultère, ne pas voler, ne pas porter de faux témoignage, honorer son père et sa mère... Chacune de ces paroles du code du Sinaï prend la défense d'un bien fondamental de la vie et du vivre ensemble humain. Si l'on met en doute cette loi, le vivre ensemble humain devient impossible, et l'existence morale même de l'homme est mise en péril. Moïse qui descend de la montagne en portant les tables des Commandements n'en est pas l'auteur. Il est plutôt le serviteur et le porte-parole de la Loi que Dieu lui a donnée sur le Sinaï. [...]
Au moment où j'écrivais l'essai Amour et responsabilité, le plus grand commandement de l'Évangile s'est présenté à moi comme une norme personnaliste. Justement parce que l'homme est un être personnel, il n'est possible de remplir ses devoirs envers lui qu'en l'aimant. De même que l'amour est le précepte suprême à l'égard du Dieu Personne, de même le devoir fondamental envers la personne humaine, créée à l'image et à la ressemblance de Dieu, ne peut être que l'amour.[...]
Arrivés à ce point, nous touchons une question d'importance essentielle pour l'histoire de l'Europe au XXI siècle.
C'est un parlement régulièrement élu qui accepta d'appeler Hitler au pouvoir dans l'Allemagne des années 1930 ; ensuite c'est le Reichstag lui-même qui, en déléguant les pleins pouvoirs à Hitler, lui ouvrit la route pour sa politique d'invasion de l'Europe, pour l'organisation des camps de concentration et pour la mise en œuvre de ce qu'on appelle la « solution finale » de la question juive, c'est-à-dire l'élimination de millions de fils et de filles d'Israël.
Il suffit de se rappeler ces quelques événements, qui nous sont proches dans le temps, pour voir clairement que la loi établie par l'homme a des limites précises, que l'on ne peut franchir. Ce sont les limites fixées par la loi naturelle, par laquelle c'est Dieu lui-même qui protège les biens fondamentaux de l'homme.
Les crimes hitlériens ont eu leur Nuremberg, où les responsables ont été jugés et punis par la justice humaine. Nombreux sont toutefois les cas où une telle issue fait défaut, bien que le jugement suprême du Législateur divin demeure toujours. [...]
Quand un parlement autorise l'interruption de grossesse, admettant la suppression de l'enfant à naître, il commet une grave violence à l'égard d'un être humain innocent et privé surtout de toute capacité d'autodéfense. Les parlements qui approuvent et promulguent de telles lois doivent être conscients qu'ils outrepassent leurs compétences et qu'ils se mettent en conflit manifeste avec la loi de Dieu et avec la loi naturelle.»[5]
[1] JEAN PAUL II, Mémoire et identité, Flammarion, Paris 2005, (Vatican 2005)
[2] JEAN PAUL II, Mémoire et identité, Flammarion, Paris 2005, (Vatican 2005), p. 82-84
[3] JEAN PAUL II, Mémoire et identité, Flammarion, Paris 2005, (Vatican 2005), p. 89-90
[4] JEAN PAUL II, Mémoire et identité, Flammarion, Paris 2005, (Vatican 2005), p. 106
[5] JEAN PAUL II, Mémoire et identité, Flammarion, Paris 2005, p.161-164
Extraits présentés par F. Breynaert