Les sciences sociales[1] : le don a valeur de lien.
Dans les sciences sociales, deux paradigmes fondamentaux se sont créés.
Le premier campe l'homo oeconomicus, qui tend à poursuivre son propre intérêt individuel[2].
Le second est au contraire collectiviste. Le sociologue français Alain Caillé l'appelle holistique[3].
Ces deux paradigmes créent les dichotomies suivantes : un ou tous ? Individu ou société ? Nous ou eux ? Aucune d'elles, précise Caillé, n'explique «la genèse des liens sociaux» ni aide l'homme à être heureux.
Voilà pourquoi Alain Caillé doit affirmer la nécessité d'un nouveau paradigme :
«Le troisième paradigme dont nous avons besoin pour surmonter les points de vue également limités de l'individualisme et de l'holisme est donc un paradigme du don»[4].
Son acceptation dans la sociologie et généralement dans la société change radicalement la vision de l'homme et des biens et services.
Dans l'économie classique, les biens et les services que les hommes échangent réciproquement ont une valeur d'usage et d'échange. Si l'on accepte le troisième paradigme, celui-là même du don, on doit affirmer qu'il existe dans la société un autre type de valeur qui pourrait s'appeler valeur de lien.
Les biens et les services, s'ils sont donnés, créent et reproduisent des relations sociales plus importantes que les biens eux-mêmes[5]. Le don des biens et des services doit «créer, alimenter ou recréer le lien social entre les personnes»[6]. En outre, Godbout affirme encore que, aujourd'hui, rien ne peut fonctionner et croître sans être nourri par le don, à commencer par la vie humaine, dont le début est réellement un acte de don à l'intérieur du noyau familial (qu'il soit légitime ou illégitime). Synthétisant à l'extrême, l'économie du don pour Godbout non seulement existe encore, mais serait le moteur par lequel peut croître l'autre économie (état et marché), qui en a besoin, et où le don, compris comme système, n'est autre que le moteur du système social : en y permettant l'existence et la reproduction.
Marie : de la théorie à la pratique[7]
Marie nous aide à comprendre que la logique du don est la gratuité, la simplicité, l'humilité, la reconnaissance, l'accueil. La philosophie du don dans l'expérience de la Mère du Seigneur n'est pas une théorie, mais pure pratique.
Marie nous conduit dans la logique du don :
« Marie nous introduit dans la logique du don avec la conscience lucide d'avoir tout reçu de Dieu, en opposition avec la conscience fière de soi de la part de l'ange et de l'homme, et elle exprime une telle expérience avec le chant de louange au donateur suprême. Elle témoigne d'une telle logique en fuyant toute réduction égoïste et en s'ouvrant à l'offrande totale de soi jusqu'au pied de la croix »[8].
Marie elle-même est un don pour nous :
«Or près de la croix de Jésus se tenaient sa mère et la soeur de sa mère, Marie, femme de Clopas, et Marie de Magdala. Jésus donc voyant sa mère et, se tenant près d'elle, le disciple qu'il aimait, dit à sa mère: "Femme, voici ton fils." Puis il dit au disciple: "Voici ta mère." Dès cette heure-là, le disciple l'accueillit parmi ses biens.» (Jn 19, 25-27)
«L'expression grecque traduite littéralement ''parmi ses biens'' n'indique pas tant les biens matériels [...], mais plutôt les biens spirituels ou dons reçus du Christ : la grâce (Jn 1, 16), la Parole (Jn 12, 48), l'Esprit (Jn 7, 39), l'Eucharistie. Parmi ces dons qui dérivent du fait d'être aimé de Jésus, le disciple accueille Marie comme Mère, établissant avec elle une profonde communion de vie»[9].
Cette image de Marie, «prototype du don», est présente dans la culture européenne depuis de nombreux siècles et ne peut être effacée par l'égologie ni par la «liquidité» de la crise postmoderne. Dans le contexte actuel de redécouverte anthropologique du don comme essence des êtres humains, l'offrande ou le don de soi de Marie au Très-Haut revêt une signification profonde.
[1] Bogus?aw Gil MIC, L'Immaculée conception de Marie dans la perspective du don, dimension culturelle, biblique et théologique, Copyright © 2012 ; Pères Mariens Rwanda, p. 30-31
[2] Cf. M. Aime, Da Mauss al MAUSS, dans M. Mauss, Saggio sul dono, Einaudi, Torino 2002, pp. XI-XII; l'étude entière aux pp. VII-XXVIII. En langue française, cf. M. MAUSS, Essai sur le don (1923-1924) dans A.A Sociologie et anthropologie, PUF, 1980
[3] A. Caillé, Il terzo paradigma (le troisième paradigme). Anthropologie philosophique du don, Bollati Boringhieri, Torino 1988, pp. 10-11.
[4] A. Caillé, Il terzo paradigma, Ibid., p. 12.
[5] Cf. A. Caillé, Il terzo paradigma, Ibid., pp. 79-80; P. Donati, Il dono in famiglia e nelle altre sfere sociali (Le don en famille et dans les autres sphères sociales), in E. Scabini - G. Rossi (par), Dono e perdono nelle relazioni familiari e sociali, (don et pardon dans les relations familiales et sociales) Vita e Pensiero, Milano 2000.
[6] J. T. Godbout, Lo spirito del dono (L'esprit du don), Bollati Boringhieri, Torino 1993, p. 30.
[7] Bogus?aw Gil MIC, Ibid., p. 38-42
[8] S. De Fiores - O. Todisco, Filosofia, in S. De Fiores - V. Ferrari Schiefer - S. M. Perrella (par), Mariologia. I Dizionari, cit., p. 566 («III. La filosofia del dono e Maria»); article complet aux pp. 556-567
[9] Jean-Paul II, «Ecco la tua Madre», catéchèse du 8 mai 1997, dans La catechesi mariana di Giovanni Paolo II, Cahiers de L'Osservatore romano-LEV, Città del Vaticano 1998, p. 174.
Bogus?aw Gil MIC