Le moine bénédictin et poète Gautier de Coinci (1177-1236), prieur de Vic-sur-Aisne et l’un des trouvères du XIIIè siècle les plus célèbres, adapta en français le récit hagiographique du Miracle de Théophile, dans son recueil intitulé Miracles de Nostre Dame. Cette œuvre fit de lui l’un des plus fameux représentants de la lyrique religieuse en langue vernaculaire - le latin restant la langue officielle de la poésie sacrée et de la liturgie.
Né à Coincy (Aisne), il entre en 1193 comme novice à l’abbaye Saint-Médard de Soissons et devient prieur de Vic-sur-Aisne, puis grand prieur de Saint-Médard.
L’inspiration de Gautier de celui qu’on surnommait le « trouvère de Marie » prend place au sein du grand courant de dévotion mariale du XIIIe siècle. Il est l’auteur des fameux Miracles de Nostre Dame, de nombeuses chansons pieuses -parmi lesquelles vingt-deux chansons sont dédiées à la Vierge Marie[1]-, et de sermons, dont le fameux grand sermon « De la doutance de la mort », qui développe le thème traditionnel du contemptus mundi (mépris du monde).
Le recueil est structuré en deux livres qui commencent tous deux par un prologue, suivi de sept chansons. Gautier de Coinci fut en effet un excellent musicien et compositeur, qui a permis d’enrichir l’expression du lyrisme religieux. À ces chansons succèdent le récit de cinquante-huit miracles, en tout. Au premier livre, sont ajoutés trois poèmes en l’honneur de sainte Léocade, et au second livre des saluts de Notre-Dame, avec leur prologue, une chanson et quatre prières.
Du point de vue formel, ce recueil fait preuve de grandes qualités d’écriture : virtuosité de la langue, profusion de rimes riches, figures de style originales, qui témoignent de la grande imagination de son auteur.
Ce recueil, très populaire, a été repris dans le Speculum historiale (vers 1244) de Vincent de Beauvais, et dans le drame paraliturgique de Rutebeuf, intitulé Le Miracle de Théophile, qui sera joué pour la première fois vers 1263. Les Quarante Miracles de Marie furent représentés à Paris au XIVe siècle.
Le miracle de Théophile appartient au premier livre des Miracles de Nostre Dame de Gautier de Coinci.
Comme le dit Annette Garnier : [2]
« Ce qui caractérise le héros du récit de Gautier est une humanité faite de faiblesse et de passivité, au regard de puissances qui s’entendent chacune à décider de son sort. L’histoire se structure par conséquent autour d’une trajectoire verticale, selon une direction allant d’abord vers le bas. »
Pendant son étape de dérive, Théophile s’en remet à la magie noire d’un juif pour entrer en contact avec Satan. Le pacte conclu garantit à Théophile l’honneur en ce monde et la damnation dans l’autre.
« Vaine gloire d’abord, puis orgueil et reniement concluent l’inversion maléfique au cours de laquelle le serviteur de Dieu est changé en disciple de Satan »[3].
Dans l’étape de la repentance, Gautier traduit le repentir de son héros par une série de soliloques qui mettent en scène le retour à la conscience et renouvellent en Théophile sa confiance en la mansuétude de la Vierge. S’ensuivent trois dialogues, permettant à la Vierge Marie de reprocher au clerc son action, puis, étant assurée de son véritable repentir, de provoquer la défaite de Satan. Théophile reconnaît publiquement son péché et meurt saintement, réconcilié et pardonné.
La figure mariale acquiert ainsi un rôle essentiel pour le salut des hommes. Celle-ci se confond avec celle de l’Église, qui combat le mal et réussit à le vaincre. Également liée aux réalités sociales contemporaines, la Vierge devint le symbole de la pureté de l’Église, mais aussi l’image d’un pouvoir de salut et de damnation.
Daniel Poirion affirme qu’[4],
« À travers ces textes édifiants transparaissent parfois un souci de propagande locale (cf Les Miracles de Nostre-Dame de Soissons, d'après Hugues Faidit), mais surtout le pessimisme du moraliste qui critique sévèrement l'indifférence de ses contemporains en matière de religion. »
Le miracle de Théophile bénéficiera d’une véritable postérité littéraire, puisque, comme l’a signalé Emile Mâle, il a inspiré la légende de Faust, et que le roman de Jérémie Delsart, intitulé Le Miracle de Théophile, et publié en 2024, en est une réécriture.
Source :
-Daniel Poirion. Gautier de Coinci, In : Encyclopaedia Universalis.
- Annette Garnier. Gautier de Coinci. Le miracle de Théophile ou comment Théophile vint à la pénitence. Paris : Champion, 1998, In : Cahiers de civilisation médiévale, 42, 1999.
- J.P. de Beaumarchais, Daniel Couty et Alain Rey (Dir). Gautier de Coinci, In : Dictionnaire des littératures de langue française. Paris : Bordas, 1987
[1] Gautier de Coinci a transposé dans le registre pieux les mélodies de la lyrique profane, phénomène courant au Moyen Age, et a détourné les valeurs séculières de l’idéologie courtoise vers la Dame par excellence, la Vierge Marie.
[2] Annette Garnier. Gautier de Coinci. Le miracle de Théophile ou comment Théophile vint à la pénitence. Paris : Champion, 1998, In : Cahiers de civilisation médiévale, 42, 1999.
[3] Annette Garnier. Ibid.
[4] Daniel Poirion. Gautier de Coinci, In : Encyclopaedia Universalis.
-sur les chansons mariales de Gautier de Coinci (XIIIès), dans l’Encyclopédie mariale
-sur Le Miracle de Théophile, dans l’Encyclopédie mariale
-sur le Miracle de Théophile de Rutebeuf (XIIIe siècle), dans l’Encyclopédie mariale
-sur le Miracle de Théophile dans l’art médiéval, dans l’Encyclopédie mariale
-sur légendes, miracles et mariales (littérature médiévale), dans l’Encyclopédie mariale
-sur la littérature mariale du Moyen Age, dans l’Encyclopédie mariale
-sur Marie délivre Théophile d'un pacte avec le démon (sermon de st Fulbert, XIe s.), dans l’Encyclopédie mariale
Isabelle Rolland