Parmi les Miracles les plus populaires au Moyen Age figure celui du moine Théophile, dont le récit hagiographique, datant du VI-VII e siècle, a été rédigé initialement en grec, par le Pseudo-Eutychianos, avant d’être traduit en latin et de connaître une postérité remarquable au Moyen Age et jusqu’à nos jours, dans la littérature comme dans l’art.
Le déploiement du thème du miracle de Théophile est très important au Moyen Age, notamment au XIIIe siècle. Il se développe dans la littérature des Miracles, mais également dans celle des sermons et dans l’iconographie. Sa fonction pédagogique et argumentative est claire: si Théophile offre un exemple de repentir et de conversion, de prière et de confession, ce miracle permet de glorifier la grande miséricorde de la Vierge Marie et sa puissance sur le démon, puisqu’elle va lui arracher le pacte conclu par le moine Théophile. Il n’est donc pas étonnant que ce miracle ait été très présent dans la conscience médiévale. L’évêque saint Fulbert de Chartres (960-1028) l’a utilisé dès le XIe siècle[1] dans l’un de ses sermons et nous montre ainsi la leçon de sagesse que l’on tirait de cette histoire:
« Plus vous vous découvrez coupables devant la majesté de Dieu, plus vous ne devez jamais cesser d'implorer une totale miséricorde devant la Mère de Dieu. En la présence du Père vous avez un avocat : le Fils même de la Vierge. Il se montrera bienveillant devant vos péchés (cf. 1 Jn 2, 1-2) autant que vous serez capable d’espérer le pardon de lui-même et de sa Mère. »[2]
La liturgie utilisait également dès le XIe siècle l’exemple de Théophile dans l’office de la Vierge, en chantant Tu mater es misericordiae / De lacu faecis et miseriae / Theophilum reformans gratiae[3].
Le miracle de Théophile va être mis à l’honneur au XIIe siècle dans les sermons de Pierre Abélard et d’Honoré d'Autun pour la fête de l'Assomption, puis dans les écrits de Bernard de Clairvaux. [4]
Il n’est donc pas étonnant que la représentation du Miracle de Théophile soit très importante, notamment dans les vitraux des cathédrales françaises, au XIIIe siècle: les vitraux de Notre-Dame de Chartres, ceux de Notre-Dame de Laon, ceux de Notre-Dame de l’Assomption à Clermont-Ferrand en témoignent.
Dans des cathédrales françaises non dédiées à la Vierge Marie, le thème du Miracle de Théophile est également présent : dans la cathédrale Saint-Etienne d’Auxerre, dans la cathédrale Saint-Pierre de Beauvais, qui lui a consacré un vitrail entier, dans la cathédrale Saint-Pierre-et-Saint-Paul de Troyes, dans la cathédrale Saint-Julien du Mans…
On trouve la représentation du Miracle de Théophile à Notre-Dame de Paris en plusieurs endroits : sur un bas-relief dans la partie sud de l'abside de Notre-Dame, et sur le tympan du cloître de la cathédrale (XIIIe siècle).
Le thème du Miracle de Théophile est également présent dans les enluminures : on peut citer par exemple un manuscrit du XV e siècle illustrant le Speculum historiae de Vincent de Beauvais[5].
Ce thème iconographique va peu à peu disparaître.
Source :
Émile Mâle. L’art religieux du XIIIe siècle en France : étude sur l’iconographie du Moyen Age et sur ses sources d’inspiration. Paris : Leroux, 1898.
[1] L’exemple de Chartres est significatif, car le Miracle de Théophile est représenté, avec les deux évêques st Fulbert et st Yves de Chartres, dans le vitrail des Miracles de la Vierge de la cathédrale de Chartres (XIIIe siècle bas-coté sud de la nef), qui raconte la construction de la cathédrale et certains fameux miracles extraits des Miracles de Notre-Dame de Chartres (Miracula B. Marie Virginis in Carnotensi ecclesia facta), ouvrage traduit en octosyllabes français vers 1252-1262 par Jehan le Marchant.
[2] Fulbert de Chartres, Sermo VI, PL 141, 331 B.
[3] Le compositeur français Jean Mouton (v.1460-1522), de l’école franco-flamande, a repris ce texte dans le motet Ave Maria à 5 voix, dont la seconde partie fait allusion à Théophile comme exemple pour glorifier la miséricorde de la Vierge Marie. Pour l’entendre en ligne
[4] Tractatus ad laudem gloriosae Virginae Matris.
[5] Vincent de Beauvais consacre un chapitre à Théophile dans le Speculum historiae au XIIIe siècle:, intitulé De Theophilo vice domino et chirographo quod dedit diabolo (XXI, 69).
-sur le miracle de Théophile, dans l’Encyclopédie mariale
-sur saint Fulbert de Chartres (960-1028), dans l’Encyclopédie mariale
Isabelle Rolland.