Si l’on ne trouve aucune mention de l’allaitement de Jésus par Sa Mère dans les évangiles, le fait d’honorer la Maternité divine de Marie a cependant permis de développer différents types iconographiques qui lui sont liés. Si certaines représentations sont animées d’un désir de représenter la réalité concrète de ce qu’a vécu la Sainte Famille, en privilégiant l’aspect plus ou moins réaliste de cet épisode de la Nativité de Jésus, d’autres représentations se soucient moins de donner une image de la réalité que de conférer aux images une dimension symbolique, voire théologique.
L’on ne trouve aucune mention de l’allaitement de Jésus par la Vierge Marie dans les évangiles[1]. La seule allusion à cet allaitement se trouve dans l’évangile de Luc, lorsqu’une femme, remplie d’allégresse en entendant les paroles de Jésus, s’écrie :
"Heureuses les entrailles qui t'ont porté et les seins que tu as sucés!"[2]
Le thème de la Vierge allaitant va cependant se développer dans la littérature spirituelle mariale : st Romanos le Mélode (VIès), par exemple, dans son Hymne sur la Nativité, donne la parole à la Vierge Marie :
« Dis-moi, mon enfant, comment as-tu été semé, as-tu été formé en moi ? Je te vois, ô ma chair, avec stupeur, car mon sein est plein de lait et je n’ai pas eu d’époux ; je te vois dans les langes, et voici que le sceau de ma virginité est toujours intact : car c’est toi qui l’as gardé quand tu as daigné venir au monde, mon petit enfant, Dieu d’avant les siècles »[3].
Le mystère d’une Vierge allaitante est ainsi médité au fil des siècles, et la Maternité de la Vierge Marie va s’orner de différents éléments symboliques et théologiques. C’est ainsi que l’allaitement du Christ par la Vierge a permis de nombreuses méditations sur le « Saint Lait » ayant permis de nourrir le tout jeune Enfant Jésus.
Il existe une tradition concernant le Saint Lait de la Vierge Marie, à Bethléem, dans la Grotte du Lait[4], tradition qui a favorisé cette exaltation de la Maternité de la Vierge Marie dans son allaitement.
L’allaitement de Jésus par Marie permet d’ancrer la réalité de l’Incarnation. Représenter l’Enfant Jésus dans cette attitude nous le montre pleinement dans sa réalité humaine, ce qui permet de lutter contre la tentation du monophysisme[5]. Il offre aussi la possibilité d’offrir, dans un contexte allégorique, une vision concrète de la Maternité spirituelle de Marie, qui s’exerce envers toute l’humanité.
Lorsque les Hébreux furent libérés de l’esclavage de l’Égypte, Dieu les a conduits, à travers le désert, au pays où coulent le lait et le miel (Ex 3,8.17 ; etc.), nourriture douce et abondante, signe d’une fécondité et d’une générosité sans équivalent. L’une et l’autre sont l’expression de la générosité surabondante de Dieu qui donne, non seulement une terre, mais une terre fertile et douce. Ce pays où ils vont pouvoir vivre fait partie de l’engagement que Dieu prend dans la conclusion de l’Alliance avec Abraham et sa descendance. Marie devient ainsi, en donnant son lait, accomplissement de cette préfiguration du Royaume qu’est la Terre Promise. Il nous faut habiter en Marie pour recevoir la Promesse par excellence, le Christ, vraie nourriture et vraie boisson. Vivre en Marie est notre mode de vie de chrétien.
Cette typologie a été soulignée, dans l’Antiquité chrétienne par la boisson, faite de lait et de miel, donnée aux néophytes au moment de leur baptême. Ils venaient d’achever leur exode (catéchuménat) en entrant dans la terre promise (la vie chrétienne) par le baptême (passage du Jourdain). Ils recevaient donc immédiatement les fruits de la terre, le lait et le miel. Il en reste peut-être quelque chose avec les dragées offertes au moment du baptême. Cette perception de Marie comme une terre est un thème d’une extrême fécondité. Marie est aussi appelée, par les Pères, terre virginale, car elle est la terre intouchée dont a été pétri le Nouvel Adam, à qui a été insufflé une haleine de vie pour devenir un être vivant (Gn 2). Elle est aussi appelée Paradis, car en elle a été placée l’homme et qu’en elle ont coexisté Dieu et l’homme, dans une parfaite harmonie.
La littérature médiévale des Miracles a fait plusieurs allusions à plusieurs guérisons miraculeuses : Adgar, Gautier de Coinci et d’autres en rapportent plusieurs récits[6]. En outre, la tradition rapporte que saint Bernard de Clairvaux, docteur marial du XIIès, a bénéficié, au cours d’une vision, d’une Lactation miraculeuse[7] , la Vierge Marie lui offrant, par le Saint-Lait qu’il reçut au visage, le don de l’éloquence, après qu’il lui eut demandé de se montrer Mère. La Vierge Marie devient, dans l’exaltation de sa Maternité spirituelle, Mère et Nourrice de toute l’humanité, et le Saint-Lait peut être ainsi l’équivalent symbolique de l’Eucharistie, la Vierge Marie offrant son Lait comme le Christ offre son sang.
Toute une iconographie s’est développée autour du thème de la Vierge allaitant l’Enfant Jésus. La plus ancienne représentation de cette scène date du IIes. On la trouve dans les Catacombes de Sainte Priscille à Rome. Elle représente la Vierge Marie allaitant Jésus et le prophète Balaam.
La représentation de la Vierge allaitante se diffuse en Égypte copte entre la fin du Ve et le IXe siècle, et, dans l’art des icônes, elle donne lieu au type byzantin de la Vierge Galaktotrophousa[8] (mot provenant du grec Gala, lait, et trophein, nourrir, allaiter) qui existe depuis le VIIIès. À ce type byzantin va correspondre la Virgo lactans, la Vierge allaitant, qui sera reproduite sur les peintures, enluminures, et dans la statuaire. On ne trouve pas de représentations de Vierges allaitantes en Occident avant le XIIès. Le thème va se développer à partir du XIIIès, mais surtout à la fin de l’époque gothique et à la Renaissance, époque où l’esthétique privilégiera une représentation plus humaine et plus réaliste de la Vierge Marie et de Son Enfant. Le thème permet alors la mise en scène d’un instant de grande intimité -la Vierge Marie étant allongée, assise ou debout, et permet d’assimiler les Vierges allaitantes au type des Vierges de tendresse.
Si certaines représentations respectent le sens profond de cet allaitement virginal, d’inévitables dérives vont se produire, dans une représentation érotisée, voire détournée de cette scène. Déjà, le Concile de Trente (décret de la XXVe session du Concile de Trente sur le culte des saints, des reliques et des images du 3 décembre 1563), qui encourageait le culte des images, se terminait par une mise en garde contre la superstition, la recherche de gains et le risque d’indécence lié à la représentation d’une beauté provocante[9], afin d’éviter les inévitables débordements qui peuvent nuire à la transmission du message évangélique[10]. Si le thème des Vierges allaitantes n’a pas échappé à cet inévitable détournement, il reste un thème fécond, au plan artistique comme au plan théologique.
Brigitte Roux. Panorama historique de la Vierge allaitant l’Enfant. Université de Genève, 2017. Diaporama en ligne
Sur les Vierges allaitantes dans l’art chrétien, en ligne
Sur La Vierge allaitant, dans l’art roman, dans l’Encyclopédie mariale
Sur La Vierge allaitant, dans l’art gothique, dans l’Encyclopédie mariale
Sur la Vierge allaitant dans la peinture de la Renaissance italienne, dans l’Encyclopédie mariale
Sur la Vierge allaitant dans la peinture flamande des XV et XVIès, dans l’Encyclopédie mariale
Sur la lactation miraculeuse de st Bernard, dans l'Encyclopédie mariale
Isabelle Rolland