Parmi les représentations symboliques de l’Annonciation figure la chasse mystique. Elle est liée au texte du Physiologus, bestiaire chrétien du IIès traduit en latin au IVès, qui recense des animaux réels, mythiques et monstrueux et leur confère une symbolique moralisée, leur attribuant des propriétés particulières. Ainsi, l’unicorne ou Licorne est une créature légendaire à corne unique dont la robe blanche et l’unique corne suscite des allégories au Moyen Âge, va revêtir un symbolisme chrétien et être parfois associé à l’Annonciation.
Licorne dans un manuscrit du Livre des propriétés des choses de Barthélemy l'Anglais, au début du xve siècle. BNF, Fr.22532, f.310v. Bibliothèque nationale de France, Public domain, via Wikimedia Commons.
Dans l’imaginaire médiéval, la Licorne est un animal redoutable.
Guillaume Le Clerc de Normandie, dans son Bestiaire divin, datant du xiiie siècle, nous l’explique :
« Elle [la licorne] est si téméraire, agressive et hardie qu'elle s'attaque à l'éléphant avec son sabot dur et tranchant. Son sabot est si aigu que, quoi qu'elle frappe, il n'est rien qu'elle ne puisse percer ou fendre. L'éléphant n'a aucun moyen de se défendre quand la licorne attaque, elle le frappe comme une lame sous le ventre et l'éventre entièrement. C'est le plus redoutable de tous les animaux qui existent au monde, sa vigueur est telle qu'elle ne craint aucun chasseur. Ceux qui veulent tenter de la prendre par ruse et de la lier doivent l'épier pendant qu'elle joue sur la montagne ou dans la vallée, une fois qu'ils ont découvert son gite et relevé avec soin ses traces, ils vont chercher une demoiselle qu'ils savent vierge, puis la font s'assoir au gite de la bête et attendent là pour la capturer. Lorsque la licorne arrive et qu'elle voit la jeune fille, elle vient aussitôt à elle et se couche sur ses genoux ; alors les chasseurs, qui sont en train de l'épier, s'élancent ; ils s'emparent d'elle et la lient, puis ils la conduisent devant le roi, de force et aussi vite qu'ils le peuvent.»
Le thème de la chasse à la Licorne est souvent représenté dans les bestiaires et dans les livres d’amour ; cependant, cette chasse à la Licorne mystique associée à l’Annonciation est beaucoup plus rare.
La chasse à la Licorne ne pouvant s’effectuer que grâce à une jeune fille vierge, il n’est pas étonnant que, dans un contexte chrétien, cette jeune fille soit assimilée à la Vierge Marie.
Dans ce même univers chrétien, la Licorne revêt bientôt un symbole christique, et la Licorne devient bientôt, dès la fin du XIIès, l’un des thèmes favoris des bestiaires et de la tapisserie dans l’Occident chrétien. Elle est, comme le dit Jean-Yves Cordier,
« Étroitement liée à la confrontation de la thématique de la chasse (…) et à celle de la virginité[1] »
Annonciation, Chasse mystique. Église de Jenikov, Tchéquie, XVès.
Cette symbolique va se complexifier en se superposant sur le thème iconographique de l’Annonciation : l’ange Gabriel devient alors le chasseur, porte une trompe de chasse et poursuit la Licorne, elle aussi attirée par la virginité de la Vierge Marie. Aux XVe et XVIe siècles, la chasse mystique à la licorne, allégorie de l’Incarnation puis de la Passion, croise ainsi le thème iconographique de l’Annonciation.
Le retable des Dominicains de Schongauer comporte 24 panneaux, illustrant la vie du Christ et de la Vierge Marie (8 panneaux illustrent les Sept joies de la Vierge Marie : l’Annonciation (2 panneaux), la Visitation, la Nativité, l’Adoration des mages, la Présentation au temple, Jésus parmi les docteurs et le Couronnement de la Vierge). Il est daté des années 1470.
Le premier panneau (gauche)
L’Annonciation est représentée dans un hortus conclusus, un jardin fermé, qui renvoie au Cantique des cantiques, 4, 12 :
« Ma sœur et fiancée est un jardin enclos ».
L’ange Gabriel, sous les traits d’un chasseur, tient en laisse quatre lévriers qui tiennent chacun dans leur gueule des phylactères sur lesquels sont inscrits : miséricorde, justice, paix et vérité, se référant aux paroles du psaume 84 :
« Misericordia et veritas obviaverunt sibi; iustitia et pax osculatae sunt »
(Miséricorde et vérité se sont rencontrées, justice et paix se sont embrassées)
De la trompe de l’ange Gabriel sort la salutation de l’ange, sous la forme d’un phylactère, sur lequel sont inscrites ces paroles de l’évangile de Luc (Luc, 1 :28)
« Ave gratia plena dominus tecum »
Sous ce premier phylactère, un autre flotte, portant ces paroles :
« Ecce virgo concipiet »(La jeune fille concevra)
qui sont celles de la prophétie d’Isaïe (Is.7:14)
Au-dessus de la fontaine, un autre phylactère porte cette inscription :
« Fons signatus » (fontaine scellée)
qui se réfère de nouveau au Cantique des cantiques : 4, 12:
« Hortus conclusus soror mea, sponsa ; hortus conclusus, fons signatus. » (ma sœur et fiancée est un jardin enclos ; le jardin enclos est une source fermée)
et symbolise la virginité de la Vierge Marie, virginité féconde.
Le second panneau (droite)
Sur le second panneau, la Vierge Marie est représentée avec la Licorne sur les genoux. Elle tient dans sa main droite la corne de la Licorne, et, de sa main gauche, soutient ses pattes avant.
Plusieurs symboles évoquent la virginité et l’élection de la Vierge Marie: le Lys blanc, symbole de pureté, dont les trois fleurons rappellent la virginité perpétuelle de la Vierge Marie avant, pendant et après l’enfantement du Christ ;
La verge d’Aaron fleurissant miraculeusement dans la nuit (Nombres 17:17-23)
; Le Buisson ardent représenté en haut du tableau fait allusion à l’Exode (Exode, 3:1-6) ; Le buisson que le feu ne consume pas, qui est l'image de la virginité de la Mère de Dieu, en qui la divinité s'est unie à l'humanité, sans altération ni changement, sans mélange ni confusion (comme cela a été dit lors du concile de Chalcédoine). St Bernard de Clairvaux, dans sa seconde homélie sur les Gloires de la Vierge Mère, dit ceci :
« Que signifiait encore cet antique buisson de Moïse qui lançait des flammes, mais sans se consumer (Exod., III, 2), sinon Marie enfantant sans douleur? Qu'est-ce encore que cette verge d'Aaron qui fleurit sans avoir été arrosée (Rom., XVII, 8)? N'est-ce point Marie qui a conçu sans le concours de l'homme ? C'est de cette grande merveille qu'Isaïe prédit le mystère plus grand encore, quand il dit: « Il sortira un rejeton de la tige de Jessé et une fleur naîtra de sa racine (Isa., XI, 1); » le rejeton pour lui c'était la Vierge, et la fleur, son enfantement. »
L’urne d’or (urna aurea) évoque également la plénitude de la grâce; on trouve une explication de ce symbole marial dans une Homélie de st Amédée, évêque de Lausanne (XIIès) :
« Urna aurea beata est Maria, aurea per excellentiam vitœ, aurea per integritatem et puritatem , aurea per plenitudinem gratia, "Marie est l'urne d’or par l'excellence de sa vie, par son intégrité et sa pureté, et par la plénitude de la grâce.»
La toison de Gédéon, vellus Gedeonis (Juges, 6 :37-38) est également un symbole marial. St Bernard de Clairvaux en parle dans la même seconde homélie sur les Gloires de la Vierge Mère :
« Que signifie la toison de Gédéon (Jud., VI, 37) ? Elle est détachée de la peau de l'agneau, mais la peau elle-même demeure intacte, elle est étendue sur le sable, et tantôt c'est elle, tantôt c'est le sable qui reçoit toute la rosée du Ciel; qu'est-ce autre chose due la chair qui naquit de la Vierge sans porter atteinte à sa virginité? N'est-ce pas dans son sein que descendit la plénitude de la divinité, quand les Cieux la laissèrent descendre comme une rosée sur la terre? C'est cette plénitude que nous avons tous reçu, et sans elle nous ne serions tous qu'une terre aride. Au fait de Gédéon semble se rapporter assez bien aussi cette parole du Prophète: « Il descendra comme la pluie sur une toison (Psalm., XVIII, 5),» car ce qui suit : « et comme l'eau qui tombe goutte à goutte sur la terre, » paraît désigner la même chose que le sable de Gédéon qui fut trouvé tout humide de rosée. En effet, la pluie volontaire que Dieu tient en réserve pour son héritage, a commencé à tomber tranquillement sans le concours de l'homme et à pénétrer sans effort dans la sein de la Vierge ; et plus tard elle se répandit partout l'univers par la bouche des prédicateurs, non plus comme la rosée qui tomba sur la toison, mais comme les gouttes de la pluie qui fondit sur la terre, accompagnée du bruit de la parole et du retentissement des miracles; attendu que les nuées qui portaient la pluie dans leur sein se sont alors rappelé qu'il leur avait été dit le jour où elles furent envoyées par le monde : « Annoncez au grand jour ce que je vous ai confié dans les ténèbres, et prêchez sur les toits ce que je vous ai dite à l'oreille (Matth., X, 27.) » C'est, en effet, ce qu'elles firent, car « leur voix a éclaté dans toute la terre et leurs paroles ont retenti jusqu'aux extrémités du monde (Psalm., XVIII, 5.) »
La toison est donc un symbole marial: la rosée descendue sur cette toison symbolise la descente du Verbe dans le sein de la très sainte Vierge.
Cette représentation de l’Annonciation en chasse mystique sera surtout traitée par les artistes germaniques.
Source :
- Jean-Yves Cordier. L'Annonciation à la Licorne, ou Chasse mystique de Martin Schongauer (v.1480).-Bruno Faidutti. Licornes, Métamorphoses d’une créature millénaire. Ynnis Édition, 2022.
-sur la Vierge à l'enfant, buisson ardent de l'Exode, dans l’Encyclopédie mariale
-sur l’Annonciation, dans l’Encyclopédie mariale
-sur l’Annonciation dans l’art, dans l’Encyclopédie mariale
Isabelle Rolland.