María de Jesús de Ágreda (1602-1665), est une religieuse mystique espagnole.
Elle eut comme conseillers spirituels deux franciscains, théologiens et savants. En suivant l'inspiration franciscaine, elle considère que Marie a été pensée, ou, pour le dire autrement, présente dans la pensée de Dieu, depuis toute éternité, car Dieu pensait l'Incarnation du Fils depuis toute éternité.
Cependant, et c'est lié à l'époque baroque, « Une époque qui est surtout celle de la découverte de l'Amérique et des terres lointaines, et qui produit une culture très portée à explorer les limites du possible, à amplifier, à dilater... »[1], Marie d'Ágreda a partout tendance à parler de Marie comme d'un être exceptionnel au point de ne plus partager la condition humaine commune.
Jean-Paul II nous aide à mieux situer le dessein divin :
« Dieu, dans son éternel amour, a choisi l'homme depuis l'éternité : il l'a choisi dans son Fils. Dieu a choisi l'homme afin qu'il puisse rejoindre la plénitude du bien par le moyen de la participation à sa propre vie : Vie Divine à travers la grâce. [...] Puisque cette élection devait prendre forme dans l'Incarnation, puisque le Fils de Dieu devait se faire homme pour notre salut, c'est pour cela même que le Père éternel a choisi pour lui, parmi les hommes, la Mère. »[2]
Les choses étant ainsi bien situées, nous pouvons maintenant goûter à la majestueuse hauteur visionnaire de Maria d'Agreda :
« J'ai vu par mon entendement, de quelle manière le Très-Haut est en lui-même, infini en sa substance et en ses attributs, en unité d'essence et en trinité de Personnes, éternellement égales, sans la moindre confusion.
Je l'ai vu d'abord dans un grand désert vide de toute créature dont il n'avait nul besoin, et j'assistai à son décret d'accomplir des oeuvres ad extra, c'est-à-dire de tirer du néant tous les êtres présents dans sa pensée. J'eus alors la hardiesse de demander à sa majesté l'ordre qu'elle mit dans ce désert afin de savoir le rang que la Mère de Dieu y occupa. Elle daigna satisfaire mon désir et vais dire l'ordre que je découvris en ses idées.
Sa science est une, simple et indivisible, mais pour la proportionner à notre capacité, il faut en quelque sorte la diviser en plusieurs actes ou instants, d'autant plus que les choses créées qui en sont l'objet, sont subordonnées entre elles, se succèdent et s'enchaînent les unes aux autres.
Au premier instant, après la communication de Dieu ad intra ou au-dedans de lui-même, il trouva digne de sa bonté de se communiquer ad extra, c'est-à-dire au dehors de son être en faisant part de sa divinité et de ses perfections à des créatures dans lesquelles il prendrait, du reste, ses délices. Dans le second instant, il décréta de réaliser cette communication pour la gloire extérieure qui devait lui revenir de la manifestation de ses grandeurs. Dans le troisième instant, il détermina l'ordre dans lequel aurait lieu cette communication, afin qu'entre tous les êtres créés brilla la plus belle des harmonies.
Il fut résolu, en premier lieu que le Verbe divin s'unirait à une âme et à un corps et, en second lieu, que d'autres êtres seraient faits à son image et composeraient l'humanité ; et dés lors, tous les hommes furent présent dans l'esprit de Dieu.
L'union hypostatique de la seconde Personne de la Trinité avec la nature humaine fut donc le premier ouvrage ad extra, parce qu'après que Dieu se fût connu et aimé en lui-même, il était convenable qu'il connût et aimât ce qui est le plus immédiat à sa divinité, comme l'est l'union hypostatique, que le Verbe humanisé fût le chef de toutes les créatures et que par lui elles aboutissent à leur Créateur.
Dans le quatrième instant, il fut établi que l'humanité du Verbe recevrait toutes les grâces possibles et que la sainteté, la science, la béatitude et la gloire divine afflueraient dans son âme autant qu'elle en serait capable.
A ce décret se rattache en second lieu par une conséquence nécessaire, la prédestination de la Mère du Verbe incarné. Elle fut conçue dans l'entendement divin la première de toutes les créatures, et incontinent le fleuve de la Divinité et de ses attributs se versa en elle, autant que le requérait sa dignité de mère et qu'elle était capable d'en recevoir.
Je la vis si belle, que, sans la lumière de la foi, je l'eusse, comme saint Denis l'Aréopagite, prise pour une divinité. Je reconnus son auteur plus admirable en sa formation que dans tout le reste de la création, car elle possède, elle seule, plus de trésors divins que toutes les autres créatures ensemble.
Dans le même instant, en troisième lieu, Dieu décida de créer un endroit où le Verbe incarné et sa Mère pussent habiter. Pour eux seuls, fut résolue la création du ciel et de la terre avec tout ce qu'ils contiennent. »
[1] S. DE FIORES, «Il culto mariano nel contesto culturale dell'Europa nei secoli XVII-XVIII», dans P.A.M.I, De cultu mariano saeculis XVII-XVIII. Vol. II, Acta congressus mariologici-mariani internationalis in Republica Melitensi anno 1983 celebrati, Romae 1987, pp. 2-61., p. 17
[2] JEAN-PAUL II, homélie du 8 décembre 1978.
Maria d'Agreda, La Mystique cité de Dieu
ou Vie divine de la Très Vierge Marie,
Partie 1, chapitre 1