Le cardinal Pierre de Bérulle (1575 -1629) est un homme d’État français influent, et le représentant majeur de l'École française de spiritualité et le fondateur de la Société de l'Oratoire. Il est surnommé le "premier théologien de Marie". Dans ses Opuscules, il explique l’importance spirituelle de ce qu'il nomme l’anéantissement, à partir de l’Incarnation de Jésus.
La doctrine de P. de Bérulle est d'aller à Dieu par Jésus-Christ, or Jésus-Christ s'est en quelque sorte anéanti lorsqu'il s'est incarné mais ce mot anéantissement n'a pas le sens d'une destruction !
La spiritualité de P. de Bérulle est une spiritualité des Béatitudes, reprenant à sa façon cette Béatitude« Heureux ceux qui ont une âme de pauvre, parce que le royaume des Cieux est à eux. » (Mt 5,3).
Bérulle parle ainsi de l’anéantissement de Jésus dans l’Incarnation, et de l’importance pour la vie spirituelle de suivre cette voie :
« [Dans l'Incarnation] Jésus est en état d'anéantissement.
Et comme l'Incarnation est le fondement de tous les autres mystères, ainsi l'état en la disposition d'anéantissement de soi-même est la base et le fondement de toutes les bonnes actions, intentions et affections que l'on opère [...]
Par l'état d'union de l'humanité au Verbe divin, toutes les actions humaines ont été sanctifiées et déifiées, ainsi par cet état les actions que nous faisons sont rendues parfaites.
Comme la nature humaine subsiste au Verbe divin et opère par lui, ainsi nous devons toujours demeurer en Jésus-Christ et opérer par son esprit toutes nos actions, anéantissant nos passions, nos vains désirs et toutes nos inutiles pensées.
Jamais Dieu ne vient à l'âme qu'elle n'ait fait quelque anéantissement, et tant plus est grand l'anéantissement qu'elle fait, tant plus aussi elle donne en soi-même de lieu à Dieu. »[1]
Ce texte mérite un commentaire.
Une première approche de ce que dit Bérulle est de considérer que la rencontre avec Dieu, comme la rencontre avec autrui, nécessite d'ouvrir notre horizon, de nous quitter nous-mêmes, c'est un certain anéantissement momentané pour permettre une vraie rencontre qui est un enrichissement.
Une seconde approche est de rapprocher Bérulle et Thérèse d'Avila. Bérulle a lui-même reçu un héritage spirituel du carmel : avec sa cousine Mme Acarie, il introduisit en France l'ordre des Carmélites (1604) qui venait d'être réformé par Thérèse d'Avila. Bérulle fut ensuite nommé supérieur des carmels de France.
Bérulle prend l'image de la culture :
« Nous ne sommes pas seulement le fonds et l'héritage de Dieu ; nous sommes son labour et son agriculture ; et c'est Dieu même et non autre qui est le laboureur et prend le soin de nous cultiver. [...] Nous donc, qui sommes une portion de la terre vivante et intelligente, ne devons-nous pas travailler incessamment [...], jusqu'à ce qu'il n'y ait plus rien qui puisse empêcher cette semence du ciel, ou d'entrer, ou de lever et fructifier ? »[2]
Sainte Thérèse d’Avila, dans son Autobiographie, avait déjà pris l'image de la culture d'un « verger », d'un « jardin »[3] où Dieu se promène[4]. Autour de cette culture du jardin ou de l'arbre de vie, est présente chez Thérèse d'Avila[5] une atmosphère de bonheur, de délectation. Plus on avance, plus Dieu aide le jardinier.
Thérèse d'Avila en parlant du dernier degré d'oraison décrit un certain anéantissement momentané de l'âme:
« Elle ne veut plus vouloir, elle ne voudrait même pas avoir son libre arbitre, et supplie le Seigneur de lui permettre d'y renoncer ; elle lui remet les clefs de sa volonté. Voilà donc le jardinier devenu gouverneur ; elle ne veut rien faire sauf la volonté du Seigneur. Et, quant à elle, n'être maîtresse ni d'elle-même ni de rien, pas même d'une pomme de ce jardin : s'il y a là quelque chose de bon, que Sa Majesté en fasse le partage ; car à partir de ce jour elle ne veut rien posséder en propre, mais que Dieu use de tout à son gré et pour sa gloire. »[6]
« Dieu n'a pas besoin au consentement de l'âme qu'il élève à ce degré d'oraison ; elle le lui a déjà donné, elle reconnaît s'être remise de plein gré dans ses mains et ne peut le tromper, puisqu'il sait tout. »[7]
L'effet de cet anéantissement est tout l'inverse d'une aliénation de la personne :
« Dieu retire âme de la terre et l'établit maîtresse de tout au monde »[8]; dans une profonde humilité car elle sait qu'elle se reçoit, elle a une très grande force et la capacité d'aider les autres.[9]
Source :
Françoise Breynaert, L'arbre de vie, éditions Paroles et silence 2006, p. 159-160 et 188-191.
- sur Pierre de Bérulle (1575-1629, cardinal), dans l'Encyclopédie mariale
-sur Les expressions bibliques : serviteur, servante, dans l'Encyclopédie mariale
-sur l’école française de spiritualité, dans l'Encyclopédie mariale
Françoise Breynaert et l’équipe de MDN.