« Mais quand vint la plénitude du temps, Dieu envoya son Fils, né d’une femme, né sujet de la loi, 5 afin de racheter les sujets de la Loi, afin de nous conférer l’adoption filiale. »
(Ga 4,4-6)
« Comment peut-on,
en devenant soi-même sujet de la Loi,
prétendre mettre fin au pouvoir de la Loi sur les autres ?
Pour provoquer l’étonnement, on cherche dans la réalité considérée des aspects apparemment contradictoires et on exprime ces aspects seulement, en ayant soin de souligner leur opposition.
Exemples : C’est ainsi que Samson déclare que «du fort est sorti le doux» (Jg 14,14). Il se garde bien de donner d’autres détails qui feraient disparaître la contradiction. Trouver un essaim d’abeilles installé dans la carcasse d’un lion mort est une chose inattendue (Jg 14,8), mais nullement contradictoire…
Le paradoxe est donc tout le contraire d’une présentation complète et équilibrée des faits.
La loi du genre exige que l’expression de la réalité y soit incomplète, afin d’être stimulante et même irritante pour l’esprit humain.
En Ga 3,13.14 et 4,4, Paul ne cherche aucunement à donner de la rédemption une explication satisfaisante ; il cherche bien plutôt à en souligner les aspects stupéfiants, irrationnels. Il s’agit d’une oeuvre divine ; Dieu bouscule les calculs humains. L’incarnation du Fils de Dieu et sa mort de maudit sont des folies de Dieu (cf. 1 Co 1,18.23).
On ne peut cependant pas en rester à l’expression paradoxale de la réalité. Le paradoxe lui-même vise à provoquer la réflexion, la recherche d’une explication.
Prenons le cas de la soumission à la Loi en Ga 4,4 et 3,13-14. Parce qu’il veut s’exprimer en paradoxe, Paul dit dans ces textes que le Fils de Dieu est «devenu sujet de la Loi» et que le Christ est «devenu malédiction», sans ajouter d’autres précisions.
Paul sait très bien qu’il ne suffit pas de devenir sujet de la Loi pour libérer les sujets de la Loi et qu’il suffit encore moins de devenir malédiction pour racheter les hommes de la malédiction de la Loi.
Ce qui est décisif ici, ce n’est pas le fait, c’est la manière.
La manière ordinaire de «devenir malédiction» consistait, d’après le texte du Deutéronome auquel Paul se réfère, à se rendre «coupable d’un crime capital» (Dt 21, 22) et à être, pour ce motif, «mis à mort et suspendu à un gibet» (ibid.). Bien des brigands étaient ainsi devenus malédiction. Ils n’avaient pas accompli pour autant la rédemption des hommes !
Si le Christ, au contraire, «nous a rachetés de la malédiction de la Loi» (Ga 3,13), c’est que la façon dont il est «devenu malédiction» a été toute différente. Paul s’abstient de le dire en Ga 3,13, car ce serait affaiblir le paradoxe. Mais le paradoxe même pousse à une recherche en ce sens et d’autres textes pauliniens y répondent.
La fécondité de la mort du Christ résulte du fait qu’il l’a soufferte autrement qu’un brigand, c’est-à-dire sans avoir commis de crime, «sans avoir connu le péché» (2 Co 5,21), mais en «se donnant lui-même pour nos péchés» (Ga 1, 4) dans un acte d’obéissance filiale envers son Père (1,4) et d’amour extrême envers nous (2,20).
Voilà la façon très spéciale dont le Christ est «devenu malédiction».
Des réflexions analogues sont à faire
sur la façon dont le Christ est «né d’une femme"
Des réflexions analogues sont à faire sur la façon dont il est «né d’une femme», car cette notation appartient, elle aussi, à une affirmation paradoxale.
Pour le commun des hommes, ce que signifie être «né d’une femme» est clairement exprimé dans la Bible : «Qu’est-ce donc que l’homme pour se prétendre pur, celui qui est né de la femme pour se dire juste ?» (Jb 15,14). «Et comment l’homme serait-il juste contre Dieu, comment se prétendrait-il pur celui qui est né de la femme ? » (25,4).
Si donc la façon dont le Fils de Dieu est «né d’une femme» n’avait pas été bien différente de celle des autres hommes, alors le paradoxe de Ga 4,4 n’aurait pas de clé et on tomberait dans l’absurdité, de même qu’on tomberait dans l’absurdité si on soutenait que le Christ est «devenu malédiction» (Ga 3,13) de la manière ordinaire, c’est-à-dire en s’étant rendu coupable d’un crime. Il n’y aurait pas eu, en ce cas, de rédemption ni d’adoption divine.
Bref, les termes ne disent rien d’une conception virginale de Jésus,
mais le genre paradoxal de la phrase en dit long !
« On le voit, l’analyse du mode d’expression nous porte plus loin que celle de la structure littéraire ; elle montre que la notation de Paul sur la mère du Fils de Dieu appelle positivement des compléments.
En eux-mêmes, les termes ne disent absolument rien d’une conception virginale de Jésus ou d’une pureté immaculée de Marie ; ils expriment uniquement le fait de l’humble naissance, sans en préciser le moins du monde les modalités. Mais le genre paradoxal de la phrase oblige à conclure que les termes choisis ne disent pas tout, qu’ils cachent intentionnellement des éléments nécessaires à la pleine compréhension de l’événement. De ce point de vue, la situation herméneutique de l’expression «né d’une femme» est semblable à celle de l’expression parallèle «né sujet de la Loi».
Lorsqu’il s’agit ensuite de déterminer la solution du paradoxe, la situation devient différente. Pour les modalités de la soumission à la Loi, d’autres textes pauliniens permettent de préciser la position de Paul. Pour les modalités de la naissance, nous n’avons pas d’autres textes pauliniens. Nous pouvons simplement - et nous devons reconnaître que la phrase de Ga 4,4 est, à cause du gente adopté, positivement ouverte aux affirmations complémentaires que les évangiles de l’enfance apportent au sujet de la naissance humaine du Fils de Dieu. »
VANHOYE A.
Extraits de : VANHOYE A., La Mère du Fils de Dieu selon Ga 4,4,
in Marianum 40 (1978), pp.237-247., p. 244-247