Parmi les thèmes iconographiques de l’enfance de Marie, celui de sa Conception est lié à sainte Anne et saint Joachim. Il se cristallise dans une représentation des retrouvailles des deux époux, après une douloureuse séparation. On nomme traditionnellement la scène des retrouvailles ‘la rencontre à la Porte Dorée’. Ce thème, fréquent dans l’iconographie orientale, a été également développé dans l’art occidental, notamment jusqu’au XVIès. La dimension symbolique qu’il contient a reflété les querelles théologiques liées à l’Immaculée Conception.
La porte Dorée est une porte qui se situe à l’entrée de Jérusalem. Dans la tradition juive, c’est la porte par lequel doit entrer le Messie. Elle a été close par Saladin, qui voulait empêcher le Messie d’entrer.
Cette porte close est parfois mise en relation avec la porte close de la vision d’Ezéchiel :
« Il me ramena vers la porte extérieure du sanctuaire, du côté de l’Orient. Mais elle était fermée.
44:2 Et l’Éternel me dit: Cette porte sera fermée, elle ne s’ouvrira point, et personne n’y passera; car l’Éternel, le Dieu d’Israël est entré par là. Elle restera fermée ». (Ez. 44:1 )
Cette porte close peut également symboliser pour les Chrétiens la virginité de Marie, avant, pendant et après la naissance du Christ.
La Vierge Marie, Nouvelle Ève, a été officiellement reconnue comme étant la seule créature humaine à être conçue sans péché, sans la marque du péché originel, que nous portons tous depuis la transgression d’Adam et Ève. Le dogme de l’Immaculé Conception est un objet de foi : le pape l’a promulgué dans la bulle Ineffabilis Deus de 1854, et la Vierge Marie l’a confirmé à sainte Bernadette à Lourdes, lors d’une apparition.
Il n’en était cependant pas de même autrefois. Il y eut des partisans en faveur de cette conception immaculée, et d’autres qui défendaient la théorie selon laquelle la Vierge Marie aurait été conçue de façon naturelle, puis préservée du péché ensuite. Ces querelles théologiques, qui opposèrent notamment les Franciscains et les Dominicains, durèrent plus d’un siècle et se résolurent grâce notamment à l’argumentation de Jean Duns Scott au XIIIès, qui fit évoluer la question. Certains allèrent même jusqu’à affirmer que la Vierge Marie avait été conçue d’un simple baiser échangé (ex osculo) à la Porte Dorée par les deux époux, d’autres soutenaient-en se fondant sur les textes apocryphes- que sainte Anne avait déjà conçu lors de l’annonciation qui lui avait été faite par l’ange.
Quoiqu’il en soit, il fallut longtemps pour que ce dogme fût officiellement stabilisé. On parlait donc à l’époque des Immaculistes (partisans d’une conception immaculée) et des Maculistes (partisans d’une conception naturelle).
Ces querelles théologiques eurent des répercussions sur l’art. C’est ainsi que Giotto, par exemple, a choisi de représenter la Conception de la Vierge Marie par le baiser de saint Joachim et de sainte Anne. Cette représentation symbolique du baiser des deux époux a pu être interprétée comme
« une stratégie figurative pour parvenir à exprimer l’idée d’une conception sans acte sexuel »[1]
thèse que l’Église ne cautionne pas. En effet, le chaste baiser d'Anne et Joachim représente ainsi
« Le signe de la conception de Marie, et non pas la cause miraculeuse de sa conception. Le pape Innocent XI, en l'an 1677 condamna l'idée d'une conception virginale par Anne »[2]
Le concile de Trente, comme l’explique Émile Mâle, ayant donné comme consigne de limiter les représentations issues des évangiles apocryphes[3], cette représentation de la Conception de Marie par la rencontre de saint Joachim et de sainte Anne a été peu à peu abandonnée, au profit d’une représentation de la Vierge Marie elle-même, en convertissant des représentations préexistantes.
Dans son Homélie sur la Nativité de la Vierge Marie, saint Jean Damascène, père de l’Église d’Orient et Docteur de l’Église, donne à cette fécondité tardive du couple un sens théologique profond. Il affirme en effet que la stérilité temporaire des saints Joachim et Anne fait partie du dessein divin, puisqu’elle a permis à Dieu de manifester Sa grâce, révélant ainsi que rien n’est impossible à Dieu (ce dont témoignent d’ailleurs les noms symboliques de saint Joachim et de sainte Anne, dont les noms signifient respectivement « la gracieuse » pour Anne et « Dieu accorde » pour Joachim).
Saint Joachim est souvent représenté âgé, avec sa houlette de berger, ou une canne, parfois dans le désert avec la brebis dont le sacrifice lui a été refusé, avant les retrouvailles à la Porte dorée.
-sur l’Immaculée Conception, dans l’Encyclopédie mariale
-sur le texte de l’encyclique Ineffabilis Deus de Pie IX, dans l’Encyclopédie mariale
-sur l’Immaculée dans l’art, dans l’Encyclopédie mariale
-sur l’homélie de saint Jean Damascène sur la Nativité de Marie, dans l’Encyclopédie mariale
Isabelle Rolland