Loin des idées reçues.[1]
Au Moyen Age, le roi se considère comme soumis aux lois et nullement au-dessus d'elles.
C'était déjà le cas des rois dans l'Ancien Testament : David était soumis à la loi divine que lui rappelait le prophète Nathan.
C'était aussi la doctrine de Cicéron et de Plutarque.
Le fait que le roi soit chrétien, voire image du Christ, loin de l'élever au-dessus des lois, l'y soumet plus radicalement encore.
L'empire vient de Dieu, mais l'empereur vient des hommes.[2]
L'idée d'un droit divin des rois est une tentation des rois médiévaux, contre le pape.
Les théologiens qui se rangent du côté du pape donnent de la formule de saint Paul selon laquelle toute autorité vient de Dieu (Romains 13, 1), une interprétation profonde : elle signifie que Dieu a créé l'homme comme devant vivre dans une cité, que celle-ci doit être organisée, et donc que le besoin d'une autorité vient de Dieu.
Mais sur la façon de choisir celui qui détient l'autorité, rien n'et dit.
On peut même, comme saint Bonaventure (1221-1274), se moquer de la succession des rois par ordre de naissance[3].
Une formule résume l'idée centrale de ces théologiens : l'empire vient de Dieu, mais l'empereur vient des hommes.
Rien n'exclue de procéder par scrutin majoritaire, comme le faisaient les conciles. C'est également la façon dont étaient choisis les supérieurs des ordres religieux et le pape lui-même. Le proverbe vox populi vox Dei (voix du peuple, voix de Dieu) était utilisé dans ce contexte.
Les rois sont tentés de s'arroger le sacré. [4]
Face aux prétentions de la papauté, la fonction impériale ou royale, loin de s'installer spontanément sur le terrain profane, fut au contraire constamment tentée de s'arroger un accès direct et indépendant à la sacralité.
Par exemple, les rois voulurent s'approprier le saint chrême (dans la « ampoule ») en vue de la cérémonie du sacre. Mais l'Eglise exclue le sacre des rois de la liste des sacrements qui était entrain de se constituer.
Autre exemple : le roi de France était censé opérer des miracles, et le roi d'Angleterre prétendait transmettre sa vertu curative à des anneaux bénis par lui...
Le droit canon trace une limite (fluctuante) entre sacré et profane[5].
Au XI° siècle, l'Eglise développa le « droit canon ». Ce droit baigne dans l'Ecriture et son développement a été l'œuvre de l'école de saint Victor. Ce droit concerne l'homme en tant qu'il est en chemin vers la vie éternelle, et il existe encore de nos jours.
Au Moyen Age, en plus de la vie sacramentelle, le droit canon régissait l'aide aux nécessiteux et l'enseignement qui étaient assurés par l'Eglise.
C'est le droit canon qui a fait évoluer le mariage : non plus un arrangement entre deux familles (et deux propriétés foncières), mais un consentement libre entre un homme et une femme adulte.
Conclusion.
Loin des idées reçues, il n'y a pas eu, dans la société médiévale occidentale, de « théocratie ».
Dans la société médiévale chrétienne, l'humain et le divin s'unissent sans confusion :
- L'organisation de l'Etat (royauté, empire) et l'organisation de l'Eglise se développent l'une et l'autre mais elles ne s'identifient pas l'une à l'autre.
- La loi civile de l'empire et la loi religieuse (le droit canon) se complètent mais ne se confondent pas.
Un grand mystère inspire en effet la société médiévale chrétienne : le mystère chanté dans l'Angélus, l'Incarnation du Christ où l'humanité et la divinité s'unissent sans confusion.
Le christianisme ne peut pas se confondre avec une loi imposée par un pouvoir temporel, car il est aussi une lumière, une aide, une grâce, un viatique pour accomplir l'Exode vers la vie éternelle. Et la mère de Dieu, que le Moyen Age appelle tendrement « Notre Dame », le rappelle à tous.
[1] Rémi Brague, la Loi de Dieu. Gallimard, Paris 2005, p. 232
[2] Rémi Brague, Ibid., p. 234
[3] Bonaventure, Collationes in Hexaëmeron, V ; éd Vivès, tome IX, p. 58a.
[4] Rémi Brague, Ibid., p. 237. Plus loin dans son livre, Rémi Brague montrera aussi la tentation de la révolution française, et la société moderne de manière générale, à sacraliser son pouvoir en détournant à son usage tout le vocabulaire sacré.
[5] Rémi Brague, Ibid., p. 238-241
Synthèse F. Breynaert