« Alors, tandis que Marie chantait celui qu’elle avait mis au monde et caressait le nouveau-né dont elle avait accouché seule, celle qui a enfanté dans la douleur l’entendit; toute joyeuse,
Ève dit à Adam :
Qui vient de faire retentir à mes oreilles la nouvelle même que j’attendais ? Une vierge enfantant le rachat de la malédiction, et dont la seule voix a mis fin à mes peines, et dont l’enfantement a blessé celui qui m’avait blessée ; c’est elle que le fils d’Amos a figurée d’avance, la tige de Jessé sur la quelle a poussé pour moi un rameau dont je mangerai le fruit pour ne plus mourir, la vierge pleine de grâce. »
« [Adam dit :] Je reconnais le printemps, femme, et je respire les délices d’où nous avons déchu jadis ; oui, je vois un nouveau, un autre paradis, la vierge qui porte en son sein le bois de vie, celui-là même, ce bois sacré, que gardaient les chérubins pour nous empêcher d’y toucher. Eh bien, cet intouchable bois, en le regardant croître, j’ai senti, mon épouse, le souffle vivifiant qui avait fait de moi, poussière et boue inanimée, un être animé. A présent, revigoré par son parfum, je vais aller vers celle où croît le fruit de notre vie, vers celle qui est pleine de grâce. »
[Adam dit :] « Me voici à tes pieds, vierge, mère sans tache, et en ma personne toute la race s’attache à tes pas. Ne méprise pas tes parents, puisque ton enfant a régénéré ceux qui sont dans la corruption. Moi qui ai vieilli dans l’Enfer, Adam, le premier créé, prends-moi en pitié, ma mie, écoute la plainte de ton père ; en voyant mes larmes, aie compassion de moi, et à mes gémissements prête une oreille bienveillante. Tu vois les haillons que je porte, que le serpent m’a tissés ; assiste ma pauvreté devant celui que tu as mis au monde, pleine de grâce.
[Eve dit :] Moi aussi, espoir de mon âme, moi aussi Ève, écoute-moi ; chasse la honte loin de celle qui a enfanté dans la douleur, car tu vois qu’à moi, misérable, les plaintes d’Adam brisent encore plus le cœur. [...] »
« Ses entrailles [celles de Marie] se déchirent de la compassion qu’elle a pour ses parents : au Miséricordieux convient une tendre mère.
Aussi [Marie] leur dit-elle :
Cessez vos lamentations, je vais me faire votre avocate auprès de mon fils ;
vous autres, chassez la tristesse, puisque j’ai mis la joie au monde, car c’est pour mettre à sac le royaume de la douleur que je suis venue, pleine de grâce. [...] Comme un père a pitié de ses enfants, mon fils a pitié de ceux qui le craignent : telle est la prophétie de David.
Réfrénez donc vos larmes, recevez-moi comme votre médiatrice auprès de celui qui est né de moi ; car l’auteur de la joie, c’est le Dieu engendré avant les siècles.
Restez en repos sans vous désoler : je vais aller auprès de lui, pleine de grâce. »
[Le Christ annonce sa passion et sa résurrection.]
[Jésus :] Tout cela je l'éprouverai volontairement, et de tout cela la cause sera le bon vouloir que depuis toujours j'ai montré pour les hommes - vouloir d'un Dieu, qui ne demande qu'à sauver.
Marie, à ce discours, s'écria en poussant un gémissement profond : O ma grappe, que les impies ne t'écrasent pas ! Quand tu auras poussé, mon enfant, que je ne te voie pas immoler!
Mais il lui répondit ceci : cesse de pleurer, mère, sans comprendre : si cela ne s'accomplit pas, tous ceux-là pour qui tu m'implores périront, pleine de grâce. »
ROMANOS LE MELODE, Hymne sur la nativité II,3-17
Sources Chrétiennes 110, Cerf, Paris 1965, p.91-109
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