323.1 « Mon fils Tolmaï est venu pour le marché. Aujourd’hui, à sexte, il retourne à Antigonée. La journée est tiède. Voulez-vous y aller, comme vous le désiriez ? leur demande le vieux Philippe en leur servant du lait fumant.
– Nous allons nous y rendre sans faute. Quand as-tu dit ?
– A sexte. Vous pourrez revenir demain, si vous voulez, ou bien le soir avant le sabbat, si cela vous plaît. A ce moment-là, tous les serviteurs juifs, ou venus à la foi, se joignent aux offices du sabbat.
– C’est ce que nous allons faire. 323.2 Et il n’est pas dit que cet endroit ne soit pas choisi pour leur demeure.
– Cela me fera toujours plaisir, même si je les perds. Car c’est un endroit salubre, et vous pourrez faire beaucoup de bien parmi les serviteurs, dont certains sont encore ceux qu’a laissés le maître. Et d’autres y sont grâce à la maîtresse bénie qui les a rachetés à des maîtres cruels. C’est pourquoi tous ne sont pas israélites. Mais à présent, ils ne sont pas non plus païens. Je parle des femmes. Les hommes sont tous circoncis. N’ayez pas pour eux de dégoût… Mais ils sont encore très loin de la justice d’Israël. Les saints du Temple s’en scandaliseraient, eux qui sont parfaits…
– Eh oui ! Oui ! Oui !… C’est bien ! Désormais ils pourront progresser en aspirant la sagesse et la bonté des envoyés du Seigneur… Vous voyez combien vous avez à faire ? dit Pierre, en s’adressant aux deux disciples.
– Nous le ferons. Nous ne décevrons pas le Maître » promet Syntica.
Et elle sort pour préparer ce qu’elle croit opportun.
Jean d’En-Dor demande à Philippe :
« Crois-tu qu’à Antigonée je pourrais faire un peu de bien aux autres aussi en enseignant comme pédagogue ?
– Beaucoup de bien ! Le vieux Plaute est mort depuis trois lunes et les enfants qui sont païens n’ont plus d’école. Quant aux Hébreux, il n’y a pas de maître, car tous les nôtres fuient ce lieu proche de Daphné. Il faut quelqu’un qui soit… qui soit… comme l’était Théophile… sans dureté pour… pour…
– Oui, en somme sans pharisaïsme, tu veux dire, termine Pierre, expéditif.
– Voilà… oui… Je ne veux pas critiquer… Mais je pense… Maudire ne sert à rien. Il vaudrait mieux aider… Comme le faisait la maîtresse qui, par son sourire, amenait à la Loi plus et mieux qu’un rabbi.
323.3 – C’est pour cela que le Maître m’a envoyé ici ! Je suis justement celui qui a ce qu’il faut… Ah ! Je ferai sa volonté, jusqu’à mon dernier soupir. Maintenant, je crois, je crois vraiment que ma mission n’est pas autre chose qu’une mission de prédilection. Je vais le dire à Syntica. Vous verrez que nous resterons là… Je vais le lui dire. »
Et il sort avec la vivacité qu’il avait autrefois.
« Très-Haut Seigneur, je te remercie et te bénis ! Il souffrira encore, mais pas comme avant… Ah ! Quel soulagement ! » s’écrie Pierre.
Il se sent le devoir d’expliquer un peu à Philippe, comme il le peut, la raison de sa joie :
« Tu dois savoir que Jean a été pris comme point de mire par les… “ durs ” d’Israël. Tu les appelles les “ durs ”…
– Ah ! Je comprends ! Persécuté politique comme… comme… »
Il regarde Simon le Zélote…
« Oui, comme moi et davantage, pour d’autres raisons encore. Car outre la différence de caste, lui les excite par son appartenance au Messie. Par conséquent, et que ce soit dit une fois pour toutes, ils sont confiés à ta fidélité, lui et elle… Tu comprends ?
– Je comprends et je saurai en tenir compte.
– Comment les appelleras-tu auprès des autres ?
– Deux pédagogues recommandés par Lazare, fils de Théophile, lui pour les garçons, elle pour les fillettes. Je vois qu’elle a des broderies et des métiers à tisser… On fait ici beaucoup de travaux féminins, qui sont vendus à Antioche par des étrangers. Mais ce sont des ouvrages grossiers et lourds. Hier, je lui ai vu un travail qui m’a rappelé ma bonne maîtresse… Ils seront très recherchés…
– Et une fois de plus, que le Seigneur soit loué, dit Pierre.
– Oui. Cela diminue pour nous la douleur de notre prochain départ.
– Vous voulez déjà partir ?
– Nous le devons. La tempête nous a retardés. Nous devons être avec le Maître aux premiers jours de Shebat. Il nous attend déjà, car nous sommes en retard » explique Jude.
323.4 Ils se séparent pour aller chacun à ses affaires, Philippe là où l’appelle une femme, les apôtres au soleil, sur la hauteur.
« Nous pourrions partir le lendemain du sabbat. Qu’en dites-vous ? demande Jacques, fils d’Alphée.
– Pour moi… tu penses ! Tous les jours, je me lève tourmenté par la pensée de la solitude de Jésus, sans vêtements, sans soins, et toutes les nuits je me couche avec ce tourment. Mais aujourd’hui, nous allons décider.
– Dites-moi : est-ce que le Maître savait tout cela ? Je me demande depuis des jours comment il savait que nous allions trouver le Crétois, comment il a prévu le travail de Jean et de Syntica, comment, comment… Beaucoup de choses, en somme, dit André.
– En réalité, je crois que le Crétois a des époques fixes de séjour à Séleucie. Peut-être Lazare l’a-t-il dit à Jésus, en conséquence de quoi ce dernier a décidé de partir sans attendre la Pâque, explique Simon le Zélote.
– Oui, c’est juste ! Et pour la Pâque, comment fera Jean ? demande Jacques, fils d’Alphée.
– Mais, comme tous les juifs, dit Matthieu.
– Non, ce serait se jeter dans la gueule du loup.
– Mais non ! Qui le trouverait dans une telle foule ?
– L’Iscar… Oh ! Qu’ai-je dit ! N’y pensez pas ! C’est une plaisanterie de ma pensée… »
Pierre est rouge, peiné d’avoir parlé. Jude lui pose une main sur l’épaule, en souriant de son sourire sévère, et dit :
« Allons ! Nous pensons tous la même chose… Mais n’en parlons à personne et bénissons l’Eternel qui a détourné de cette pensée l’esprit de Jean. »
Absorbés, tous gardent le silence. Mais pour eux, qui sont de vrais juifs, c’est un problème de savoir comment le disciple pourra faire la Pâque à Jérusalem, alors qu’il est exilé… et ils se remettent à en parler.
« Je crois que Jésus y pourvoira. Peut-être que Jean le sait. Il n’y a qu’à le lui demander, suggère Matthieu.
– Ne faites pas cela. Ne mettez pas des désirs et des épines là où la paix commence tout juste à renaître, supplie l’apôtre Jean.
– Oui. Il vaut mieux le demander au Maître lui-même, approuve Jacques, fils d’Alphée.
– Quand le verrons-nous ? Qu’en dites-vous ? demande André.
– Si nous partons le lendemain du sabbat, nous serons sûrement à Ptolémaïs à la fin de la lune, dit Jacques, fils de Zébédée.
– Si nous trouvons un navire… » observe Jude.
Et son frère ajoute :
« Et s’il n’y a pas de tempête.
– Quant au bateau, il y en a toujours en partance pour la Palestine et, en payant, nous lui ferons faire escale à Ptolémaïs, même si c’est un bateau direct pour Joppé. Tu as encore de l’argent ? demande le Zélote à Pierre.
– Oui, bien que ce voleur de Crétois m’ait vraiment tondu, en dépit de ses protestations de gentillesse pour Lazare. Mais je dois payer pour la garde de la barque et celle d’Antoine… Quant à l’argent donné pour Jean et Syntica, je n’y touche pas, il est sacré. Même s’il faut jeûner, je le laisse intact.
– Tu fais bien. Cet homme est très malade. Il croit pouvoir travailler comme pédagogue. Je crois que, très vite, il sera seulement un infirme, estime Simon le Zélote.
– Oui, je le pense moi aussi. Syntica, en plus de ses travaux, devra faire des onguents, renchérit Jacques, fils de Zébédée.
– Mais cet onguent, hein ? Quelle merveille ! Syntica m’a confié qu’elle veut en refaire et s’en servir pour pouvoir pénétrer dans les familles d’ici, dit Jean.
– C’est une bonne idée ! Un malade que l’on guérit, c’est toujours un disciple que l’on gagne, et sa famille avec lui, proclame Matthieu.
– Ah ! Ça, non ! S’exclame Pierre.
– Comment ? Tu veux dire que le miracle n’attire pas au Seigneur ? lui demandent André et deux ou trois autres.
– Oh ! Mes petits ! Il me semble que vous tombez du ciel ! Mais vous ne voyez pas comment ils se comportent avec Jésus ? Est-ce qu’Eli de Capharnaüm s’est converti ? Et Doras ? Et Osée de Chorazeïn ? Et Melchias de Bethsaïde ? Et – excusez-moi, vous les Nazaréens – et Nazareth tout entière pour les cinq, six, dix miracles jusqu’au dernier, celui de votre neveu ? » demande Pierre.
Personne ne réplique, parce que c’est l’amère vérité…
« Nous n’avons pas encore trouvé le soldat romain. Jésus l’avait fait comprendre… dit Jean après un moment.
– Nous le dirons à ceux qui restent. Ce sera même un but de plus dans leur vie, répond Simon le Zélote.
323.5 Philippe revient :
« Mon fils[35] est prêt. Il a fait vite. Il est avec sa mère qui prépare des cadeaux pour ses petits-enfants.
– Elle est bonne, ta belle-fille, n’est-ce pas ?
– Très bonne. Bérénice m’a consolé de la perte de mon Joseph. Elle est comme une fille pour moi. Elle était servante d’Euchérie qui l’avait formée. Venez vous restaurer avant de partir, les autres sont déjà en train de le faire. »…
… Précédés par le char de Tolmaï, le petit-fils de Philippe, ils avancent au trot vers Antigonée…
Ils ont tôt fait d’atteindre la petite ville. Enclose dans la fertilité de ses jardins, à l’abri des vents grâce aux montagnes qui l’entourent – suffisamment lointaines pour ne pas lui faire de l’ombre, mais assez proches pour la protéger et répandre sur elle les effluves de ses bois d’arbres résineux ou aromatiques –, tout ensoleillée, elle réjouit la vue et le cœur, pour qu’on la traverse.
323.6 Les jardins de Lazare sont au sud de la ville, précédés par une avenue, aux arbres maintenant dépouillés, le long de laquelle se trouvent les habitations des préposés aux jardins. Ce sont des maisonnettes basses, bien tenues, sur le seuil desquelles se montrent de jeunes enfants et des femmes qui regardent avec curiosité et saluent en souriant. La diversité des visages révèle les différences de races.
Dès que Tolmaï a franchi le portail d’entrée de la propriété, il fait, en passant devant chaque maison, un bruit de fouet spécial. Ce doit être un signal. Les habitants de chacune, après avoir regardé, entrent dans leur demeure, puis en ressortent en fermant les portes ; ils suivent l’avenue derrière les deux chars qui avancent au pas pour s’arrêter ensuite au centre d’un carrefour d’où partent plusieurs sentiers en étoile, comme les rayons d’une roue. Ils travesent des champs innombrables séparés en plates-bandes, les unes dépouillées, les autres toujours vertes, garnies de lauriers, d’acacias ou de plantes du même genre, d’autres arbres dont les entailles laissent sortir un lait odoriférant et des résines. Il flotte dans l’air un mélange d’odeurs balsamiques, résineuses, aromatiques. Il y a partout des ruches et des bassins d’irrigation où boivent des colombes toutes blanches. A certains endroits, des poules, blanches elles aussi, surveillées par des fillettes, grattent une terre nue qui vient d’être piochée.
323.7 Tolmaï fait claquer son fouet plusieurs fois, jusqu’à ce que les sujets de ce petit royaume soient réunis autour des arrivants, puis il commence son petit discours :
« Voilà : Philippe, notre chef, et père de mon père, envoie et recommande ces saints d’Israël venus ici par la volonté de notre maître. Que Dieu soit toujours avec lui et avec sa maison. Nous nous lamentions beaucoup parce qu’il nous manquait la voix des saints rabbins. Voilà que la bonté du Seigneur et celle de notre maître, au loin, mais qui nous aime tant – que Dieu lui rende le bien qu’il fait à ses serviteurs –, nous procurent ce que notre cœur désirait. En Israël s’est levé Celui qui était promis aux nations. On nous l’avait dit pendant les fêtes au Temple et dans la maison de Lazare. Mais maintenant, le temps de la grâce est réellement venu pour nous, car le Roi d’Israël a pensé à ses plus petits serviteurs et nous a envoyé ses ministres pour nous apporter ses paroles. Voici ses disciples, et deux d’entre eux vont vivre parmi nous, ici ou à Antioche, pour nous enseigner la sagesse, pour nous enseigner la science du Ciel et celle de la terre. Jean, pédagogue et disciple du Christ, enseignera à nos enfants l’une et l’autre sagesse. Syntica, disciple et maîtresse de couture, enseignera la science de l’amour de Dieu et l’art du travail féminin aux fillettes. Accueillez-les comme une bénédiction du Ciel, et aimez-les comme les aiment Lazare, fils de Théophile, et d’Euchérie – gloire à leurs âmes et paix – et comme les aiment les filles de Théophile : Marthe et Marie, nos maîtresses bien-aimées et disciples de Jésus de Nazareth, le Rabbi d’Israël, le Promis, le Roi. »
Le petit peuple des hommes, aux tuniques courtes et aux mains pleines de terre qui portent des outils de jardinage, des femmes, des enfants de tous âges, écoute avec étonnement, puis chuchote, enfin s’incline profondément.
Tolmaï commence les présentations :
« Simon, fils de Jonas, le chef des envoyés du Seigneur ; Simon le Cananéen, l’ami de notre maître, Jacques et Jude, frères du Seigneur, Jacques et Jean, André et Matthieu. »
Et aux apôtres et aux disciples :
« Anne, ma femme, de la tribu de Juda comme ma mère d’ailleurs, parce que nous sommes purs, venus avec Euchérie de Juda. Joseph, le garçon consacré au Seigneur, et Théochérie, ma fille aînée qui porte dans son nom le souvenir des justes maîtres, fille sage et amie de Dieu, en véritable israélite ; Nicolaï et Dosithée. Nicolaï est consacré au naziréat, Dosithée, le troisième, (et un gros soupir accompagne la présentation) est déjà marié depuis plusieurs années à Hermione. 323.8Viens ici, femme… »
Une très jeune brunette s’avance, un bébé dans les bras.
« La voilà : c’est la fille d’un prosélyte[36] et d’une Grecque. Mon fils a fait sa connaissance à Alexandroscène de Phénicie quand il y est allé pour le commerce et elle lui a plu… et Lazare ne s’y est pas opposé ; il a dit au contraire : “ Cela vaut mieux que la débauche. ” Et ce n’est pas un mal. Mais moi, je voulais un sang d’Israël… »
La pauvre Hermione baisse la tête comme une accusée. Dosithée frémit et souffre. Anne, la mère et belle-mère, a un regard attristé… Bien qu’il soit le plus jeune de tous, Jean sent la nécessité de relever les esprits humiliés, et il dit :
« Dans le Royaume du Seigneur, il n’y a plus de Grecs ou de juifs, de Romains ou de Phéniciens, mais seulement des enfants de Dieu. Quand tu connaîtras la Parole de Dieu par ceux qui sont venus ici, elle élèvera ton cœur vers de nouvelles lumières et elle ne sera plus “ l’étrangère ” mais la disciple, comme toi et comme tous, de notre Seigneur Jésus. »
Auparavant humiliée, Hermione relève la tête et, reconnaissante, sourit à Jean. La même expression de reconnaissance est visible sur le visage de Dosithée et d’Anne.
Tolmaï, austère, répond :
« Dieu veuille qu’il en soit ainsi car, à part son origine, je n’ai rien à reprocher à ma belle-fille.
323.9 Celui qui est dans ses bras, c’est Alphée, le dernier-né, qui a pris le nom de son père à elle, le prosélyte. La petite aux yeux couleur de ciel sous ses boucles d’ébène, c’est Myrtica, du nom de la mère d’Hermione et celui-ci, l’aîné, c’est Lazare, suivant la volonté du maître ; quant à l’autre, c’est Hermas.
– Le cinquième doit s’appeler Tolmaï et la sixième Anne, pour dire au Seigneur et au monde que ton cœur s’est ouvert à une nouvelle compréhension » dit encore Jean.
Tolmaï s’incline sans parler. Puis il reprend les présentations :
« Ceux-ci sont deux frères d’Israël : Myriam et Sylvain de la tribu de Nephtali. Et voici Elbonide, Danita et Siméon le Judéen. Puis voilà les prosélytes, autrefois Romains ou fils de Romains ; Euchérie, en mettant en œuvre sa charité, les a arrachés à la servitude et au paganisme : ce sont Lucius, Marcel, et Solon, fils d’Elatée.
– Nom grec, relève Syntica.
– De Thessalonique. Esclave d’un serviteur de Rome. »
Son mépris est manifeste, quand il dit : “ serviteur de Rome ”.
«Euchérie l’a pris en même temps que son père mourant, dans une heure trouble, et, si le père est mort païen, Solon est prosélyte. Priscilla, avance avec tes enfants…»
Une grande femme élancée au visage aquilin s’avance en poussant une fillette et un garçon, avec deux petites filles accrochées à ses jupes.
« Voici la femme de Solon, autrefois affranchie d’une Romaine aujourd’hui morte, et Marius, Cornélie, Marie et Martille, des jumelles. Priscilla est experte en essences. Amiclée, viens avec tes enfants ! Elle est fille de prosélytes, et ses deux fils Cassius et Théodore le sont. Técla, ne te cache pas. C’est la femme de Marcel. Elle souffre d’être stérile. Fille de prosélytes elle aussi. Ceux-ci sont les colons. 323.10 Maintenant, allons aux jardins. Venez. »
Il les conduit à travers le vaste domaine, suivi par les jardiniers qui expliquent les cultures et les travaux pendant que les fillettes retournent à leurs poules, qui ont profité de l’absence de leurs gardiennes pour s’éloigner.
Tolmaï explique :
« On les amène ici pour débarrasser la terre des chenilles avant les semailles annuelles. »
Jean d’En-Dor sourit aux poules qui caquettent :
« Je crois retrouver les miennes d’autrefois… »
Il se penche pour leur jeter des miettes de pain qu’il prend dans son sac jusqu’à ce qu’il soit entouré de poulettes et il rit, parce que l’une d’elles, effrontée, vient lui becqueter le pain dans la main.
« Quel bonheur ! » s’écrie Pierre en donnant un coup de coude à Matthieu pour lui montrer Jean qui joue avec les poules, et Syntica qui parle grec avec Solon et Hermione. Puis ils reviennent à la maison de Tolmaï qui explique :
« Voilà l’endroit. Mais si vous voulez enseigner ici, on pourra vous aménager une place. Vous restez ici ou bien…
– Oui, Syntica ! Ici ! C’est plus beau ! Antioche m’accable à cause des souvenirs… dit doucement Jean à sa compagne.
– Mais oui… Comme tu veux, pourvu que tu sois bien. Pour moi, tout m’est égal. Moi, je ne regarde plus en arrière, rien qu’en avant… Allons, Jean ! Ici, nous serons bien. Des enfants, des fleurs, des colombes et des poules pour nous, pauvres créatures. Et pour notre âme la joie de servir le Seigneur. Qu’en dites-vous ? demande-t-elle en s’adressant aux apôtres.
– Nous pensons comme toi, femme.
– Alors, c’est entendu.
– Très bien, nous partirons contents…
– Oh ! Ne partez pas ! Je ne vous verrai plus ! Pourquoi si tôt ? Pourquoi ? »
Jean retombe dans son chagrin.
« Mais nous ne partons pas maintenant ! Nous restons ici jusqu’à… jusqu’à ce que tu sois… »
Pierre ne sait pas dire ce que sera Jean, et pour ne pas faire voir les larmes qui emplissent ses yeux, il embrasse Jean qui pleure, espérant le consoler ainsi.
[35] Mon fils : le vieux Philippe qualifie Tolmaï de mon fils, alors qu’il est son grand-père, le père de son père Joseph. Les juifs appelaient leurs petits-enfants fils ou fille, de même qu’on disait père et mère pour les grands-parents ; on employait pour les cousins et les beaux-frères ou belles-sœurs le terme de frères ou sœurs. On ne parlait pas d’oncle et de tante (comme en 100.12). Dans l’œuvre de Maria Valtorta, les degrés de parenté sont exprimés parfois comme à l’époque de Jésus, et parfois comme de nos jours (en particulier « tante » en 95.5/6)
[36] prosélyte : c’était un païen converti à la religion juive et circoncis. La figure du prosélyte est récurrente dans l’œuvre de Maria Valtorta, et elle prend un relief particulier dans le contexte de ce chapitre.