448 - Pierre, sujet d’une parabole, passe en jugement (samedi 4 août 29)

Evangiles

Pas de correspondance

Date

Samedi 4 août 29

Lieu : 

Sur le lac, vers Magdala

 

Vision de Maria Valtorta :

448.1 « Où va-t-on, Maître ? » demande Pierre.

Il a terminé les manœuvres et les préparatifs de navigation et se trouve avec sa barque en tête de la petite flottille de bateaux pleins de passagers prêts à suivre le Maître.

« A Magdala. Je l’ai promis à Marie, sœur de Lazare.

– C’est bien » répond Pierre.

Et il manœuvre la barre de façon à prendre la bonne direction, en tirant des bords.

Jeanne est montée avec le Maître, la Vierge Marie, Marie, femme de Cléophas, ainsi que Marziam, Matthieu, Jacques, fils d’Alphée, et quelqu’un que je ne connais pas. Elle montre les embarcations nombreuses qui voguent sur le lac, en cette paisible soirée d’été qui tamise les feux du couchant en ballets de voiles violacés, comme s’il tombait du ciel des cascades d’améthystes ou des grappes de glycines en fleurs. Elle dit :

« Il y a peut-être, parmi elles, les barques des Romaines. C’est un de leurs passe-temps favoris de simuler une pêche par ces soirées tranquilles.

– Mais elles seront plus au sud, observe l’homme que je ne connais pas.

– Oh non ! Benjamin. Elles ont des embarcations rapides et des bateliers adroits. Elles viennent jusque là-haut.

– Pour ce qu’elles ont à y faire… » bougonne Pierre.

Et il continue dans sa barbe, avec son intransigeance de pêcheur qui voit la navigation et la pêche comme une profession et non comme un passe-temps, presque comme une religion régie par des lois sévères et utiles, et il lui semble que c’est une profanation de la pratiquer abusivement :

« Avec leurs encens, leurs fleurs, leurs parfums et autres cérémonies démoniaques, ils polluent les eaux ; par leurs musiques, leurs cris stridents et leurs conversations, ils troublent les poissons ; par leurs torches fumeuses, ils les épouvantent ; par leurs maudits filets jetés au hasard, ils abîment les fonds et la reproduction… Cela devrait être interdit. La mer de Galilée appartient aux Galiléens, aux pêcheurs du pays, pas aux prostituées et à leurs compères… Si j’étais le maître ! Je vous en ferais voir, fétides barquesses païennes, sentines flottantes de vices, alcôves qui naviguent pour apporter même ici, sur ces eaux de Dieu, de notre Dieu, à ses enfants, vos… Ah ! regardez donc ! Elles foncent justement vers nous ! Est-il donc possible de voir ça !… Mais peut-on permettre… Mais… »

448.2 Jésus interrompt ce réquisitoire, dans lequel Pierre épanche tout son esprit d’Israélite et de pêcheur, cramoisi, suffoquant de mépris, haletant comme s’il luttait contre des forces infernales, et il lui dit avec un sourire paisible :

« Mais il est bon que tu ne sois pas le maître. Heureusement que tu ne l’es pas, pour eux comme pour toi ! Tu les empêcherais de suivre une bonne impulsion, une impulsion suscitée dans leur âme — païenne, j’en conviens, mais naturellement bonne — par la Miséricorde éternelle : car elle guide ces personnes qui ne sont pas coupables d’être nées dans la nation romaine, et non dans la nation hébraïque. Dieu jette sur elles un regard de pitié, précisément parce qu’il les voit tendre vers ce qui est bon. Et tu te ferais du mal à toi-même, car tu commettrais un acte contre la charité et un autre contre l’humilité…

– Contre l’humilité ? Je ne vois pas… Etant maître du lac, il me serait permis d’en disposer à mon gré.

– Non, Simon, non. Tu te trompes. Même ce qui nous appartient est à nous parce que Dieu nous l’accorde. Donc, puisque nous en avons la possession pendant un temps limité, il faut toujours se rappeler qu’un Seul possède tout, sans limitation ni dans le temps, ni dans l’espace. Un Seul est le Maître. Les hommes… Ils ne sont que les administrateurs de petits morceaux de la grande Création. Mais le Maître, c’est lui, mon Père et le tien, et celui de tous les vivants. De plus, il est Dieu, par conséquent toute sa pensée et toute son action sont parfaites. Si donc Dieu regarde avec bienveillance le mouvement de ces cœurs païens vers la vérité, et non seulement regarde, mais favorise ce mouvement en lui suscitant une accélération de plus en plus forte vers le bien, ne te semble-t-il pas qu’en souhaitant les empêcher, toi, un homme, tu veux au fond interdise Dieu d’agir ? Et quand empêche-t-on quelque chose ? Quand on estime que ce n’est pas bon. Tu penserais donc de ton Dieu qu’il ne fait pas une bonne action. Si juger ses frères n’est pas bien parce que tout homme a ses défauts et possède une faculté de connaissance et de jugement si limitée que sept fois sur dix son jugement est erroné, il sera absolument mauvais de juger Dieu et ses actes. Simon, Simon ! Lucifer a voulu juger une des pensées de Dieu : il l’a estimée erronée et a voulu se substituer à Dieu en se croyant plus juste que lui. Tu en connais, Simon, le résultat. Et tu sais que toutes les souffrances que nous subissons proviennent de cet orgueil…

448.3 – Tu as raison, Maître ! Je suis un grand malheureux! Pardonne-moi, Maître ! »

Toujours aussi impulsif, Pierre lâche le gouvernail pour se jeter aux pieds de Jésus. La barque, subitement laissée à elle-même et justement en plein courant, dévie alors, et fait une embardée effrayante au milieu des cris de Marie, femme de Cléophas, de Jeanne et des occupants de la légère embarcation jumelle qui voient maintenant arriver sur eux la lourde barque de Pierre. Heureusement, Matthieu reprend rapidement la barre, les autres se servent des rames pour l’éloigner, lui imprimant des secousses brusques et produisant des remous. La barque tangue à faire peur, mais finit par reprendre sa route.

« Ohé, Simon ! Un jour, tu as insulté[21] les Romains en les traitant de mauvais navigateurs, parce qu’ils venaient sur nous, mais aujourd’hui, c’est toi qui fais triste figure… Et justement à leur vue. Regarde comme ils se sont tous mis debout pour mieux voir… » dit, pour le blesser, Judas en montrant les barques romaines, maintenant si proches, dans le miroir d’eau en face de Magdala, qu’on peut les distinguer, bien que les brumes violacées du soir se soient assombries en amortissant la lumière.

– Tu as perdu aussi une corbeille et un seau, Simon. Veux-tu que nous tentions de les repêcher avec les grappins ? » demande Jacques, fils de Zébédée, d’une autre barque maintenant toute proche — car, après l’incident, tous se sont groupés autour de la barque de Pierre.

– Mais comment as-tu fait ? Cela ne t’arrive jamais ! » s’exclame André, encore d’une autre barque.

Pierre répond à tous, les uns après les autres, alors qu’ils lui ont parlé tous ensemble.

« Ils m’ont vu ? Peu importe ! S’ils avaient vu aussi mon cœur et… Bon, ne dis pas ça, Pierre… Quant à toi, sache que tu n’as pas blessé mon amour-propre. Ce n’est pas une fausse manœuvre, c’est arrivé pour une bonne cause : celle de pouvoir me mortifier… Ne te tracasse pas, Jacques ! Ce sont des vieilleries qui sont allées au fond… Si je pouvais jeter à leur suite le vieil homme qui résiste en moi ! Je voudrais tout perdre, même la barque, mais être vraiment comme le Maître le veut… Comment ai-je fait ? Hé ! Je me suis prouvé à moi-même, à mon orgueil qui veut faire la leçon même à Dieu dans les choses de l’esprit, que je suis une grosse bête, même en ce qui concerne la barque… C’est bien fait pour moi. Je me suis fait une parabole, de moi-même à moi-même… n’est-ce pas vrai, Maître? »

Jésus sourit pour montrer son accord… Assis à la poupe, à sa place habituelle, blanc sur le fond de l’air qui s’assombrit, tranquille, les cheveux ondulant légèrement au vent du soir, il se détache sur le crépuscule comme un ange de lumière et de paix.

448.4 Les barques romaines les ont rejoints.

« Elles ont des coques et des voiles parfaites… et puis, de ces bateliers ! Ils filent aussi rapidement que des alcyons ! Ils utilisent le moindre souffle d’air, chaque veine de courant…

– Les rameurs sont presque tous des esclaves de Crète ou du Nil, explique Jeanne.

– Les marins du delta sont très adroits, de même que les Crétois. Mais ceux d’Italie sont très bons aussi… Ils franchissent Charybde et Scylla… cela suffit pour les dire excellents, avoue l’inconnu du nom de Benjamin.

– Où allons-nous, Seigneur ? A Magdala, ou bien… Regarde, les habitants de Magdala viennent vers nous… »

En effet, toutes les petites embarcations de cet endroit s’empressent de quitter le rivage ou le petit port en direction des barques de Capharnaüm. Elles sont chargées, surchargées même d’occupants d’une manière effrayante, si bien que leur bord est presque au niveau de l’eau.

« Non. Restons ici au large en face de la ville. Je parlerai de la barque…

– C’est que… Ces imprudents veulent se noyer ! Regarde donc, Maître ! Il est vrai que le lac est aussi paisible qu’une plaque d’argent… mais l’eau, c’est toujours l’eau… et la charge, c’est toujours la charge… et là… ils se croient sur la terre ferme et non sur l’eau… Intime-leur de faire demi-tour… Ils vont se noyer…

– Homme de peu de foi ! Ne te souviens-tu pas que, tant que tu as cru, tu as marché[22] sur l’eau, à mon invitation, comme sur la terre ferme ? Eux ont la foi. Par conséquent, contre la loi de l’équilibre entre le poids et la submersion, les eaux soutiendront ces barques surchargées.

– Si cela arrive… c’est vraiment un soir de grand miracle… » murmure Pierre en haussant les épaules, tandis qu’il descend la petite ancre pour la mouillage.

Sa barque reste ainsi au milieu d’un cercle d’autres, en partie de Capharnaüm, en partie de Magdala ou de Tibériade — et ces dernières sont celles des Romaines, qui se placent prudemment derrière celles de Capharnaüm, vers le milieu du lac.

Jésus leur tourne le dos. Il regarde celles de Magdala, dans la direction du jardin vaste et ombragé de Marie, sœur de Lazare, et des maisonnettes qui s’étendent sur la rive et dont la blancheur ressort dans la nuit.

448.5 Le lac, qui n’est plus agité par les proues et les rames, reprend un aspect paisible : c’est une vaste plaque de cristal, moirée d’argent sous l’effet d’un début de lumière lunaire et parsemée d’écailles de topaze ou de rubis là où les feux des fanaux ou les flammes des lanternes mises à toutes les proues se reflètent dans le lac.

Le contraste des lueurs orangées et des rayons lunaires rend les visages étranges. Ils sont en partie très nets, en partie à peine visibles ; d’autres semblent coupés en deux, en long ou en large, avec seulement le front ou le menton éclairés, ou bien avec une seule joue, une moitié de visage qui se détache en un profil très net, l’autre côté étant presque caché. Certains ont des yeux brillants alors que d’autres paraissent avoir des orbites vides, et il en est de même des bouches, que les dents éclairent d’un sourire chez certaines, tandis que d’autres disparaissent dans l’ombre.

Mais pour que tout le monde voie Jésus, voilà que, des barques de Capharnaüm et de Magdala, on passe des quantités de fanaux que l’on place aux pieds de Jésus, sur les bancs, accrochés aux rames inutilisées, posés sur le bord de la proue et de la poupe, et on va jusqu’à en faire des grappes sur le mât, dont la voile a été amenée. La barque où se tient Jésus brille ainsi dans le cercle de ses semblables restées sans éclairage. Revêtu de tous côtés par la lumière, il est maintenant bien visible. Seules les embarcations romaines s’éclairent de leurs lanternes rouges, dont une brise très légère fait osciller la flamme.

448.6 « La paix soit avec vous ! » commence Jésus en se mettant debout malgré le léger tangage de la barque et en ouvrant les bras pour bénir.

Puis il poursuit, en parlant lentement pour que tout le monde entende bien et, sur le lac silencieux, sa voix se diffuse, puissante et harmonieuse.

« Il y a un moment, l’un de mes apôtres m’a proposé une parabole et je vous la propose maintenant, car elle peut être utile à tous, étant donné que tous vous pouvez la comprendre. Ecoutez-la.

Un homme naviguait sur un lac par une soirée tranquille comme celle-ci, et, se sentant sûr de lui, il eut la prétention d’être sans défauts. C’était un homme très expérimenté dans les manœuvres, si bien qu’il se pensait supérieur aux autres qu’il rencontrait sur l’eau. Parmi eux, beaucoup venaient par plaisir, donc sans l’expérience que donne le travail habituel pour gagner sa vie. Par ailleurs, c’était un bon juif et, pour cette raison, il se croyait en possession de toutes les vertus. Enfin, c’était réellement un brave homme.

Un soir, donc, qu’il naviguait avec assurance, il se permit d’exprimer des jugements sur son prochain. C’était, selon lui, un prochain si lointain qu’il n’avait plus à le considérer comme tel. Aucun lien de nationalité, de métier ou de foi ne l’unissait à ce prochain, de sorte que, n’étant pas obligé de se réfréner par solidarité nationale, professionnelle ou religieuse, il le ridiculisait tranquillement, sévèrement même. Il se plaignait de ne pas être le maître des lieux car, s’il l’avait été, il l’en aurait chassé. Dans sa foi intransigeante, il allait presque jusqu’à reprocher au Très-Haut de permettre à ces gens, différents de lui, de faire ce que lui faisait, et de vivre là où lui vivait.

Dans la barque, il avait un ami, un très bon ami qui l’aimait avec justice et pour cette raison le voulait sage ; quand il le fallait, il corrigeait ses idées erronées. Ce soir-là, donc, cet ami dit au batelier : “ Pourquoi ces pensées ? Tous les hommes n’ont-il pas le même Père ? N’est-ce pas lui le Seigneur de l’Univers ? Est-ce que son soleil ne descend pas sur tous les hommes pour les réchauffer, et est-ce que ses nuages n’arrosent pas les champs des païens comme ceux des Juifs ? Et s’il le fait pour les besoins matériels de l’homme, ne pourvoira-t-il pas aussi à ses besoins spirituels ? Voudrais-tu donc suggérer à Dieu ce qu’il doit faire ? Qui est comme Dieu ? ”

L’homme était bon. Dans son intransigeance, il y avait beaucoup d’ignorance, beaucoup d’idées erronées, mais pas de mauvaise volonté, pas d’intention d’offenser Dieu mais, au contraire, le désir d’en défendre les intérêts. En entendant ces mots, il se jeta aux pieds du sage et lui demanda pardon d’avoir parlé comme un sot. Mais il le fit avec tant d’impétuosité, que pour un peu il provoquait une catastrophe en faisant sombrer la barque et périr ses occupants. En effet, dans son empressement à demander pardon, il ne se soucia plus ni de la barre, ni de la voile, ni du courant. Ainsi, après la première erreur d’un jugement défectueux, il commit une seconde faute de mauvaise manœuvre, et il se prouva à lui-même qu’il était, non seulement un pauvre juge, mais aussi un marin maladroit.

Voilà la parabole.

Maintenant, écoutez : selon vous, Dieu lui pardonnera-t-il, ou non ? Rappelez-vous : il avait péché contre Dieu et son prochain en jugeant les actes de l’un et de l’autre, et il s’en est fallu de peu qu’il soit homicide de ses compagnons. Réfléchissez et répondez… »

Jésus croise les bras et tourne les yeux vers toutes les barques, y compris les plus lointaines, jusqu’aux Romaines qui font voir une rangée de visages attentifs de patriciennes et de rameurs qui dépassent par dessus les bords…

448.7 Les gens chuchotent et se consultent en un murmure à peine audible de voix qui se confond avec le léger clapotis de l’eau contre les embarcations. Il est difficile de juger. La plupart cependant sont d’avis que l’homme ne sera pas pardonné de son péché, du moins pour le premier…

Jésus entend le murmure qui s’amplifie en ce sens. Ses yeux merveilleux sourient, ils brillent même dans la nuit, comme deux saphirs sous le rayonnement de la lune. Celle-ci est de plus en plus belle, resplendissante, au point que plusieurs pensent à éteindre les lanternes et fanaux, pour rester sous la seule lumière phosphorescente de la lune.

« Eteins aussi celles-là, Simon » dit Jésus à Pierre. « Elles sont misérables comme des étincelles en comparaison des étoiles sous ce ciel rempli d’astres et de planètes. »

Pierre est tendu pour entendre le jugement de la foule et, lorsqu’il tend la main pour détacher les lanternes, Jésus fait une caresse à son apôtre, et il lui demande tout bas :

« Pourquoi ce regard troublé ?

– Parce que, cette fois, tu me fais juger par le peuple.

– Et pourquoi le crains-tu ?

– Parce que… il est comme moi… injuste…

– Mais c’est Dieu qui juge, Simon !

– Oui. Mais toi, tu ne m’as pas encore pardonné et maintenant tu attends leur jugement pour le faire… Tu as raison, Maître… Je suis incorrigible… Mais… Pourquoi imposer à ton pauvre Simon ce jugement de Dieu ?… »

Jésus lui pose la main sur l’épaule — ce qui lui est facile, car Pierre est en bas dans la barque et Jésus debout à la poupe, par conséquent bien au-dessus de lui. Il sourit… mais ne lui répond pas. Au contraire, il demande aux gens :

« Eh bien ? Parlez fort, barque par barque. »

Ah ! Pauvre Pierre ! Si Dieu l’avait jugé d’après l’avis des gens, il l’aurait condamné. Hormis trois barques, toutes les autres, y compris celles des apôtres, le condamnent. Les Romaines ne se prononcent pas et ne sont pas interrogées, mais il est visible qu’elles aussi jugent l’homme condamnable, car d’une barque à l’autre — il y en a trois — elles font le signe du pouce renversé.

Pierre lève ses yeux bovins, effrayés, vers le visage de Jésus, et il rencontre un regard encore plus doux : ses yeux de saphir irradient une sorte de paix. Pierre voit se pencher sur lui un visage rayonnant d’amour et il se sent attiré contre Jésus, de sorte que sa tête grisonnante se trouve serrée contre le côté de Jésus alors que le bras du Maître étreint étroitement ses épaules.

448.8 « C’est ainsi que juge l’homme, mais non pas Dieu, mes enfants ! Vous dites : “ II ne sera pas pardonné. ” Moi, je dis : “ Le Seigneur ne voit même pas en lui matière à pardon. ” En effet, le pardon suppose une faute, mais là, il n’y avait pas de faute.

Non, ne murmurez pas en hochant la tête. Je le répète : il n’y avait pas de faute. Quand est-ce qu’une faute a lieu ? Lorsqu’il y a volonté de pécher, conscience que l’on pécherait, et que l’on persiste néanmoins à vouloir pécher même après avoir pris conscience que cet acte est un péché. Ce qui compte, c’est la volonté avec laquelle on accomplit un acte, que ce soit un acte de vertu ou de péché. Même quand quelqu’un fait un acte manifestement bon, mais sans avoir conscience qu’il fait un acte bon, et en croyant au contraire qu’il fait un acte mauvais, il fait une faute comme s’il faisait un acte mauvais, et inversement.

Réfléchissez sur un exemple. Un homme a un ennemi qu’il sait être malade. Il est informé que, sur l’ordre du médecin, cet ennemi ne doit pas boire d’eau froide, ni même aucun liquide. Il va le trouver, soi-disant par compassion. Il l’entend gémir : “ J’ai soif, j’ai soif ! ” et, simulant la pitié, il s’empresse de lui donner à boire de l’eau glacée du puits en disant : “ Bois, mon ami. Moi, je t’aime et je ne puis te voir souffrir ainsi. Regarde : je t’ai apporté exprès cette eau bien fraîche. Bois, bois, car une grande récompense attend celui qui assiste les malades et qui désaltère ceux qui ont soif ” ; et en lui donnant à boire, il cause sa mort. Croyez-vous que cet acte, bon en soi puisqu’il est fait de deux œuvres de miséricorde, est bon alors qu’il est fait dans un but mauvais ? Non, il ne l’est pas.

Ou encore : un fils dont le père est ivrogne tente de le sauver de la mort qu’amènerait son intempérance en fermant le cellier, en lui enlevant tout argent, et en lui imposant même sévèrement de ne pas aller au village pour boire et ruiner sa santé, vous paraît-il manquer au quatrième commandement parce qu’il fait des reproches à son père et agit envers lui comme s’il était le chef de famille ? En apparence, il fait souffrir son père et semble coupable. En réalité, c’est un bon fils, car sa volonté est bonne puisqu’il veut sauver son père de la mort. C’est toujours l’intention qui donne à l’acte sa valeur.

Autre exemple : le soldat qui tue à la guerre est-il homicide ? Non, si son esprit ne consent pas au massacre et s’il combat parce qu’il y est contraint et fait preuve de ce minimum d’humanité que la dure loi de la guerre et sa situation subalterne lui imposent.

Par conséquent, cet homme de la barque qui, par une bonne volonté de croyant, de patriote et de pêcheur ne supportait pas ceux qui, selon lui, étaient des profanateurs, ne faisait pas de péché contre l’amour du prochain : il avait seulement une idée erronée de l’amour du prochain. Et il ne faisait pas non plus de péché d’irrespect envers Dieu, parce que son ressentiment envers Dieu venait de son esprit de croyant qui était bon, mais pas équilibré ni éclairé. Enfin, il ne commettait pas d’homicide parce qu’il provoquait l’embardée par un bon désir de demander pardon.

Sachez toujours faire cette distinction. 448.9 Dieu est miséricorde plutôt qu’intransigeance. Dieu est bon. Dieu est Père. Dieu est amour. Voilà qui est le vrai Dieu. Et le vrai Dieu ouvre son cœur à tous, à tous, en disant : “ Venez ”, et en indiquant son Royaume. Et il est libre de le faire car il est le Seigneur unique, universel, créateur, éternel.

Je vous en prie, vous qui appartenez au peuple d’Israël : soyez justes, rappelez-vous ces choses. Ne faites pas en sorte que les hommes impurs à vos yeux les comprennent, mais pas vous. Même l’amour excessif et désordonné de la religion et de la patrie est un péché, parce qu’il devient de l’égoïsme. Or l’égoïsme est toujours raison et cause de péché.

Oui, l’égoïsme est un péché, car il sème dans le cœur une volonté mauvaise qui le rend rebelle à Dieu et à ses commandements. L’âme de l’égoïste ne voit plus nettement Dieu ni ses vérités. L’orgueil obscurcit tout chez l’égoïste et déforme les vérités. Dans la brume, l’âme, qui ne distingue plus la lumière franche de la vérité comme il la voyait avant de devenir orgueilleux, commence le procès des pourquoi et, de là, passe au doute, et du doute au détachement non seulement de l’amour et de la confiance en Dieu et en sa justice, mais aussi de la crainte de Dieu et de ses châtiments. Cela entraîne une plus grande facilité à pécher, qui provoque la solitude de l’âme qui s’éloigne de Dieu. N’ayant plus la main de Dieu pour la guider, elle tombe sous la loi de sa volonté propre de pécheur.

Ah ! la volonté du pécheur est une bien dure chaîne ! Satan tient dans sa main une de ses extrémités, et l’autre tient attaché au pied de l’homme un lourd boulet pour le retenir là, esclave, dans la boue, courbé, dans les ténèbres.

L’homme peut-il dans ce cas ne pas commettre de faute mortelle ? Le peut-il, s’il n’a plus que de la volonté mauvaise en lui ? Alors, alors seulement, Dieu ne pardonne pas. Mais quand l’homme a de la bonne volonté et accomplit même des actes spontanés de vertu, il finit certainement par arriver à posséder la vérité, car une intention droite mène à Dieu, et Dieu, le Père très saint, se penche, plein d’amour, de pitié, d’indulgence, pour aider ses enfants qui font preuve de bonne volonté, les bénir et leur pardonner.

C’est pour cela que l’homme de cette barque a été pleinement aimé, car n’ayant pas le désir de pécher, il n’avait pas péché.

Maintenant, rentrez en paix chez vous. Les étoiles ont occupé tout le ciel et la lune revêt le monde de pureté. Allez, obéissants comme les étoiles et rendez-vous purs comme la lune, car Dieu aime ceux qui sont obéissants et purs d’esprit, et il bénit ceux qui mettent en chacune de leurs actions la bonne volonté d’aimer Dieu et leurs frères, et de travailler à sa gloire et à leur profit. Que la paix soit avec vous ! »

Et Jésus ouvre les bras pour bénir, pendant que les barques qui l’entourent s’éloignent et se séparent, chacune prenant sa propre direction.

448.10 Pierre est si heureux qu’il ne pense pas au départ. Matthieu le secoue :

« Tu ne fais pas attention, Simon ? Moi, je ne suis pas très capable…

– C’est vrai… Oh ! mon Maître ! Alors, tu ne m’avais pas condamné ? Moi qui en avais si peur…

– Ne crains rien, Simon. Je t’ai pris pour te sauver, pas pour te perdre. Je t’ai pris en raison de ta bonne volonté… Allons, prends la barre, regarde l’étoile polaire et avance avec assurance, toujours… Dans toutes les navigations… Dieu, ton Jésus, sera toujours debout à ton côté sur la proue de ta barque spirituelle. Et il te comprendra toujours. Tu comprends ? Toujours. Et il n’aura pas à te pardonner parce que, même si tu tombes comme un faible enfant, tu n’auras jamais l’intention mauvaise de le faire… Réjouis-toi, Simon. »

Pierre acquiesce plusieurs fois, trop ému pour parler, suffoqué par l’amour. Sa main tremble un peu sur le gouvernail, mais son visage resplendit de paix, de sécurité, d’amour, tandis qu’il regarde son Maître qui se tient debout tout près de lui, sur le bord de la barque, comme un archange tout blanc de lumière.

  

[21] tu as insulté, en 98, 2.

[22] tu as marché, en 274.3/4.