Enseignement de Jésus
364.1 Jésus dit :
« Lève-toi, Maria. Sanctifions ce jour par une page d’Evangile. Car ma Parole est sanctification. Regarde, Maria, car regarder les jours du Christ sur terre, c’est une sanctification. Ecris, Maria, car écrire sur le Christ, c’est une sanctification. Répéter ce que dit Jésus, c’est une sanctification. Prêcher Jésus, c’est une sanctification. Instruire ses frères l’est aussi. Il te sera accordé une grande récompense pour cette charité. »
***
364.2 Jésus, qui a quitté Rama (vision du 17 décembre 1945), est déjà en vue de Jérusalem. Il marche, comme l’année précédente[1], en chantant les psaumes prescrits. Beaucoup de gens, sur cette route très fréquentée, se retournent pour voir passer le groupe des apôtres. Certains saluent respectueusement ; d’autres se bornent à jeter un coup d’œil en souriant avec vénération — ce sont surtout des femmes — ; il y en a qui se contentent de regarder ; on en voit sourire d’un air ironique et dédaigneux ; d’autres enfin passent, hautains et, de toute évidence ; malveillants. Jésus avance, tranquille, habillé de frais et avec soin. Comme tous les autres, il a changé de tenue en vue d’une entrée correcte, je dirais même élégante, dans la cité sainte.
Avec ses habits neufs, Marziam est lui aussi à la hauteur des circonstances, cette année, et il marche à côté de Jésus en chantant de bon cœur d’une voix plutôt désagréable parce qu’il est en train de muer. Mais sa tonalité imparfaite se perd dans le chœur fourni des voix de ses compagnons. En revanche, elle s’élève seule et cristalline dans les notes élevées qu’il atteint encore avec justesse et sûreté. Marziam est heureux…
Ils s’apprêtent à entrer par la porte de Damas, déjà en vue, parce qu’ils vont directement au Temple. Mais il leur faut s’arrêter et interrompre leurs chants pour laisser passer une fastueuse caravane qui occupe toute la route et provoque un embouteillage, de sorte qu’il est plus prudent de rester sur le bord du chemin. Mais cet itinéraire est le plus court. Marziam demande alors :
« Mon Seigneur, ne vas-tu pas dire une autre belle parabole pour ton fils absent ?[2] Je voudrais la joindre aux autres écrits que je détiens, car nous trouverons sûrement à Béthanie ses envoyés et de ses nouvelles. Et je souhaite lui faire cette joie, comme je l’ai promis et comme son cœur et le mien le désirent…
– Oui, mon fils. Je vais, bien sûr, t’en raconter une.
– Une qui le console vraiment et qui l’assure qu’il est toujours aimé de toi…
– C’est dans ce sens que je parlerai, et j’en éprouverai de la joie parce que ce sera la vérité.
– Quand la diras-tu, Seigneur ?
– Tout de suite. Nous allons immédiatement au Temple comme il se doit, et je prendrai la parole là-bas, avant qu’on m’empêche de le faire.
– Et tu parleras pour lui ?
– Oui, mon fils.
– Merci, Seigneur ! Ce doit être tellement douloureux d’être ainsi séparés… » dit Marziam.
Une larme brille dans ses yeux noirs.
Jésus lui passe la main dans les cheveux, 364.3 se retourne, et fait signe aux Douze de s’approcher pour reprendre leur marche. En effet, ils s’étaient arrêtés pour écouter des personnes dont je ne sais si elles croyaient au Maître ou si elles désiraient le connaître ; elles avaient fait halte pour la même raison que Jésus et les siens.
« Nous arrivons, Maître. Nous écoutions ces gens parmi lesquels il y a des prosélytes venus de loin, qui nous demandaient où ils pourraient t’approcher, dit Pierre en accourant.
– Pour quel motif le désiraient-ils ? »
Pierre, maintenant à côté de Jésus qui reprend la marche, répond :
« Ils souhaitent entendre ta parole et être guéris de certaines infirmités. Tu vois ce char couvert, après le leur ? Ce sont des prosélytes de la Diaspora, venus par mer ou par un long voyage, poussés à prendre la route, non seulement par respect de la Loi, mais plus encore par la foi en toi. Il y en a d’Ephèse, de Pergé et d’Iconium. A côté d’eux, qui sont de riches marchands pour la plupart, il s’en trouve un, pauvre celui-là, de Philadelphie, qu’ils ont accueilli par pitié sur leur char, en pensant se rendre le Seigneur propice.
– Marziam, va leur dire de me suivre au Temple. S’ils savent croire, ils y obtiendront à la fois la santé de l’âme par la parole et celle du corps. »
L’adolescent part rapidement, mais un chœur de désapprobation s’élève parmi les Douze à cause de “ l’imprudence ” de Jésus qui veut se mettre en évidence au Temple…
« Nous y allons justement pour leur faire voir que je n’ai pas peur, pour montrer qu’aucune intimidation ne peut me faire désobéir au précepte. N’avez-vous donc pas encore compris leur petit jeu ? Toutes ces menaces, tous ces conseils qui ne sont amicaux qu’en apparence, ont pour but de me faire pécher, pour avoir un véritable élément d’accusation. Ne soyez pas lâches. Ayez foi. Ce n’est pas mon heure.
– Mais pourquoi ne vas-tu pas d’abord rassurer ta Mère ? Elle t’attend…, dit Judas.
– Non. Je me rends d’abord au Temple qui, jusqu’au moment marqué par l’Eternel pour la nouvelle ère, est la Maison de Dieu. Ma Mère souffrira moins en m’attendant, qu’elle ne souffrirait en sachant que je suis en train de prêcher au Temple. Ainsi, j’honore mon Père et ma Mère en donnant au premier les prémices de mes heures pascales, et à la seconde la tranquillité. Allons, ne craignez rien. Du reste, si l’un de vous a peur, qu’il aille à Gethsémani pour couver son appréhension parmi les femmes. »
Fouettés par cette dernière observation, les apôtres ne soufflent mot. Ils se remettent en rangs, trois par trois ; ils ne sont quatre qu’au premier rang où se trouve Jésus, jusqu’à ce que Marziam vienne comme cinquième, si bien que Jude et Simon le Zélote passent derrière Jésus, resté au milieu entre Pierre et Marziam.
364.4 A la porte de Damas, ils rencontrent Manahen.
« Seigneur, j’ai pensé qu’il valait mieux me faire voir pour enlever tout doute sur la situation. Je t’assure qu’il n’y a, en dehors de l’animosité des pharisiens et des scribes, aucun risque pour toi. Tu peux t’y rendre en toute sécurité.
– Je le savais, Manahen. Mais je te suis reconnaissant. Accompagne-moi au Temple, si cela ne t’ennuie pas…
– M’ennuyer ? Mais pour toi je défierais le monde entier ! Rien ne me fatiguerait ! »
Judas marmonne quelque chose. Manahen, fâché, se retourne et dit d’une voix ferme :
« Non, homme, ce ne sont pas seulement des “ mots ”. Je prie le Maître d’éprouver ma sincérité.
– Ce n’est pas nécessaire, Manahen. Allons. »
Ils avancent au milieu d’une foule compacte et, arrivés à une maison amie, ils se débarrassent des sacs que Jacques, Jean et André déposent pour tous dans un atrium long et sombre. Puis ils rejoignent leurs compagnons.
364.5 Ils pénètrent dans l’enceinte du Temple en passant près de la tour Antonia. Les soldats romains regardent, mais ne bougent pas. Ils discutent. Jésus les observe pour voir s’il y a quelqu’un de sa connaissance, mais il n’aperçoit ni Quintilianus ni le soldat Alexandre.
Les voilà dans le Temple, dans le grouillement peu sacré des premières cours où se trouvent marchands et changeurs. Jésus regarde et frémit. Il blêmit et paraît grandir encore, tant est solennelle sa démarche sévère.
Judas le tente :
« Pourquoi ne réitères-tu pas le geste saint ?[3] Tu vois ? Ils ont oublié… et la profanation est de nouveau dans la Maison de Dieu. Tu ne t’en émeus pas ? Tu ne te dresses pas pour la défendre ? »
Le visage brun et beau, mais ironique et faux malgré les efforts de Judas pour n’en rien laisser paraître, est presque celui d’un renard quand, un peu penché comme par un respect plein de vénération, il dit cela à Jésus en le scrutant par dessous.
« Ce n’est pas l’heure. Mais tout cela sera purifié. Et pour toujours !… » répond Jésus avec décision.
Judas sourit et ergote :
« Le “ pour toujours ” des hommes ! C’est beaucoup trop précaire, Maître ! Tu le vois bien !… »
Jésus ne lui répond pas, tout absorbé à saluer de loin Joseph d’Arimathie qui passe, emmitouflé dans son riche manteau, et suivi par d’autres.
Ils font les prières rituelles, puis reviennent à la Cour des Gentils, sous les portiques de laquelle se pressent les gens.
364.6 Les prosélytes, rencontrés en route, ont suivi Jésus. Ils ont traîné leurs malades avec eux, et maintenant ils les étendent à l’ombre sous les portiques, près du Maître. Leurs femmes, qui les attendent ici, s’approchent lentement. Toutes sont voilées. Mais l’une d’elle, peut-être souffrante, est déjà assise et ses compagnes la conduisent auprès des autres malades. D’autres gens se pressent autour de Jésus. Je vois que les groupes de rabbins et de prêtres sont à la fois stupéfaits et désorientés par la venue publique de Jésus, qui commence à prêcher.
« Que la paix soit avec vous, ô vous tous qui m’écoutez ! La Pâque sainte ramène les fils fidèles dans la Maison du Père. Notre Pâque bénie ressemble à une mère soucieuse du bien de ses enfants. Elle les appelle à haute voix pour qu’ils viennent, qu’ils viennent de partout, laissant en suspens toute préoccupation pour un souci plus important, le seul qui soit vraiment grand et utile : celui d’honorer le Seigneur et Père. Cela permet de comprendre comment nous sommes frères ; c’est de là que, par un doux témoignage, naissent l’ordre et l’engagement d’aimer son prochain comme soi-même. Nous ne nous sommes jamais vus ? Nous nous ignorions ? Oui. Mais nous sommes ici, en tant que fils d’un même Père qui nous veut dans sa Maison pour le banquet pascal ; et voilà que — si ce n’est par nos sens matériels, du moins certainement par la partie supérieure de notre être — nous nous sentons égaux, frères, venus d’Un Seul, et nous nous aimons comme si nous avions grandi ensemble. Notre union d’amour est une anticipation de l’autre, plus parfaite, dont nous jouirons dans le Royaume des Cieux, sous le regard de Dieu, dans la même étreinte de son amour : moi, Fils de Dieu et de l’homme, avec vous, hommes, fils de Dieu. Moi, le Premier-né, avec vous, mes frères aimés au-delà de toute mesure humaine, jusqu’à me faire Agneau pour vos péchés.
Mais nous, qui bénéficions à l’instant présent de notre fraternelle unité dans la Maison du Père, souvenons-nous aussi de ceux qui sont loin et qui pourtant sont nos frères dans le Seigneur ou par l’origine. Gardons les absents dans notre cœur, portons-les devant l’autel saint. Prions pour eux en recueillant par l’esprit leurs voix lointaines, leur nostalgie, leurs désirs insatisfaits d’être ici. Et de la même manière que nous recueillons ces soupirs conscients des juifs absents, recueillons aussi ceux des âmes appartenant à des hommes qui ne savent même pas qu’ils en ont une et qu’ils sont les fils d’Un Seul. Toutes les âmes du monde crient dans la sombre prison de leurs corps vers le Très-Haut. De là, elles gémissent vers la Lumière. Nous, qui sommes dans la lumière de la vraie foi, ayons pitié d’eux.
364.7 Prions : notre Père qui es aux Cieux, que ton nom soit sanctifié par toute l’humanité ! Le connaître, c’est avancer vers la sainteté. Fais que les Gentils et les païens connaissent ton existence, Père saint, et, comme les trois sages d’un temps désormais lointain, mais pas figé — car rien de ce qui se rapporte à l’avènement de la Rédemption dans le monde ne l’est —, qu’ils viennent à Dieu, à toi, Père, guidés par l’Etoile de Jacob, par l’Etoile du Matin, par le Roi et le Rédempteur de la race de David, par celui que tu as oint, déjà offert et consacré afin d’être victime pour les péchés du monde.
Que ton Règne vienne en tout lieu de la terre où l’on te connaît et où l’on t’aime, et là aussi où ce n’est pas le cas. Et qu’il vienne surtout pour ceux qui sont trois fois pécheurs : ceux qui ont beau te connaître, mais ne t’aiment pas dans tes œuvres et manifestations de lumière, et qui cherchent à repousser et à étouffer la Lumière venue dans le monde : ce sont en effet des âmes de ténèbres, qui préfèrent les œuvres de ténèbres et ne veulent qu’étouffer la Lumière du monde et t’offenser toi-même, car tu es la Lumière très sainte et le Père de toutes les lumières, à commencer par celle qui s’est faite Chair et Parole pour apporter ta lumière à toutes les âmes de bonne volonté.
Père très saint, que ta volonté soit faite en tout cœur qui existe dans le monde, c’est-à-dire que tous se sauvent et que pour aucun d’eux le sacrifice de la grande Victime ne reste sans fruit. Car telle est ta volonté : que l’homme se sauve et se réjouisse en toi, Père saint, après le pardon qui va être donné.
Donne-nous tes secours, Seigneur, tous tes secours. Procure-les à tous ceux qui attendent, à ceux qui ne savent pas qu’ils attendent, procure-les aux pécheurs avec le repentir qui sauve, procure-les aux païens avec la blessure de ton appel qui secoue, procure-les aux malheureux, aux prisonniers, aux exilés, aux malades du corps ou de l’esprit, donne-les à tous, toi qui es le Tout, parce que le temps de la miséricorde est venu.
Pardonne, Père bon, les péchés de tes enfants : ceux de ton peuple qui sont les plus graves, ceux des hommes coupables de vouloir rester dans l’erreur alors que ton amour de prédilection a justement donné à ce peuple la lumière. Et accorde ton pardon aux personnes qu’abrutit un paganisme corrompu qui enseigne le vice, et qui se noient dans l’idolâtrie de ce paganisme lourd et pestilentiel ; or il y a parmi elles des âmes de valeur elles aussi, que tu aimes puisque tu les as créées. Nous pardonnons — et moi le premier — pour que tu puisses pardonner ; et nous invoquons ta protection sur la faiblesse des créatures pour que tu délivres ceux que tu as créés du Principe du Mal d’où viennent tous les crimes, toutes les idolâtries, fautes, tentations et erreurs. Seigneur, délivre-les du Prince horrible pour qu’ils puissent parvenir à la lumière éternelle. »
364.8 L’assistance a suivi avec attention cette solennelle prière. Des rabbins célèbres se sont approchés, parmi lesquels Gamaliel, qui appuie pensivement sur sa main son menton barbu… Un groupe de femmes s’est approché, toutes enveloppées dans des manteaux munis d’une sorte de capuchon qui leur cache le visage. Les rabbins se sont écartés dédaigneusement… Attirés par la nouvelle de l’arrivée du Maître, de nombreux disciples fidèles sont aussi accourus, parmi lesquels Hermas, Etienne, le prêtre Jean, et encore Nicodème et Joseph, deux inséparables, et d’autres de leurs amis qu’il me semble avoir déjà vus.
Pendant la pause qui succède à la prière du Seigneur, qui se recueille en lui-même avec une austérité solennelle, on entend Joseph d’Arimathie demander :
« Eh bien, Gamaliel ? Cela ne te paraît toujours pas une parole du Seigneur ?
– Joseph, il m’a été dit : “ Ces pierres frémiront au son de mes paroles ! ” » répond Gamaliel.
Etienne s’écrie avec impétuosité :
« Accomplis ce miracle, Seigneur ! Ordonne, et elles s’ébranleront ! Que croule l’édifice, mais que s’élèvent dans les cœurs les murs de la foi en toi, voilà qui serait un grand don ! Fais-le pour mon maître !
– Blasphémateur ! crie un groupe de rabbins furieux et de leurs élèves.
– Non » s’écrie à son tour Gamaliel. « Mon disciple dit une parole inspirée. Mais nous ne pouvons l’accepter parce que l’Ange de Dieu ne nous a pas encore purifiés[4] du passé par le charbon pris à l’Autel de Dieu… Et, même si son cri — il montre Jésus —, arrachait les gonds de ces portes, nous ne saurions peut-être pas encore croire… »
Il relève un pan de son ample manteau très blanc, s’en couvre la tête en cachant presque son visage, et s’en va.
Jésus le regarde partir… 364.9 Puis il reprend la parole pour répondre à certains qui murmurent entre eux et paraissent scandalisés et qui, pour rendre plus explicite leur indignation, s’en déchargent sur Judas avec toute une suite de plaintes que l’apôtre subit sans réagir en haussant les épaules et en paraissant très mécontent.
Jésus dit :
« En vérité, en vérité, je vous dis que ceux qui paraissent bâtards sont fils légitimes et que les vrais fils deviennent bâtards. Ecoutez tous une parabole.
Il y avait une fois un homme qui dut, pour ses affaires, s’absenter longtemps de chez lui en laissant des enfants encore petits. De l’endroit où il se trouvait, il écrivait des lettres à ses fils aînés pour les garder toujours dans le respect de leur père absent et leur rappeler ses instructions. Le dernier, né après son départ, était encore en nourrice chez une femme éloignée de l’endroit, une femme d’une autre race, originaire du pays de son épouse. Cette dernière mourut alors que l’enfant était encore petit et loin de la maison. Les frères se dirent : “ Laissons-le là où il est, chez les parents de notre mère. Peut-être notre père l’oubliera-t-il et ce sera tout à notre profit, puisque nous serons moins nombreux à nous partager l’héritage quand il viendra à mourir. ” Et c’est ce qu’ils firent. De cette façon, l’enfant qui était au loin vécut, élevé par sa famille maternelle, dans l’ignorance des instructions paternelles, sans savoir qu’il avait un père et des frères ou, ce qui est pire, en connaissant l’amertume de cette réflexion : “ Tous m’ont repoussé comme si j’étais un bâtard ” ; et il en vint à croire qu’il l’était, tant il se sentait rejeté par son père.
Une fois adulte, il prit un emploi. En effet, aigri comme il l’était par ces pensées, il avait même pris en haine la famille de sa mère, qu’il pensait coupable d’adultère. Le hasard voulut que ce jeune homme se rende dans la ville où se trouvait son père. Et sans savoir qui il était, il le fréquenta et eut l’occasion de l’entendre parler. L’homme était un sage. Et comme il n’avait aucune satisfaction de ses fils éloignés de lui — désormais ils agissaient à leur guise et n’entretenaient que des rapports conventionnels avec leur père qui vivait au loin, tout juste pour qu’il se rappelle qu’ils étaient “ ses ” fils et se souvienne d’eux dans son testament —, il donnait des conseils raisonnables à des jeunes qu’il avait l’occasion d’approcher dans la ville où il habitait. Le jeune homme fut attiré par cette droiture toute paternelle à l’égard de tant de jeunes, et non seulement il le fréquenta, mais il se fit un trésor de toutes ses paroles, de sorte que son âme aigrie devint meilleure.
L’homme tomba malade et dut se décider à retourner dans sa patrie. Le jeune homme lui dit : “ Seigneur, toi seul m’as parlé avec justice en élevant mon âme. Permets-moi de te suivre comme serviteur. Je ne veux pas retomber dans le mal où j’étais. ” “ Viens avec moi. Tu prendras la place du fils dont je n’ai pu obtenir de nouvelles. ” Et ils retournèrent ensemble à la maison paternelle.
Ni le père, ni les frères, ni le jeune homme lui-même ne se rendirent compte que le Seigneur avait réuni à nouveau ces membres d’un même sang sous un même toit. Mais le père dut beaucoup pleurer à cause des fils qu’il connaissait, car il les trouva oublieux de ses enseignements, avides, le cœur dur, sans plus de foi en Dieu, mais au contraire avec beaucoup d’idolâtries dans le cœur : orgueil, cupidité et luxure étaient leurs dieux, et ils ne voulaient pas entendre parler d’autre chose que d’intérêts humains. L’étranger, au contraire, s’approchait toujours plus du Seigneur, devenait juste, bon, affectueux, obéissant. Ses frères le haïssaient parce que leur père aimait cet étranger. Lui pardonnait et aimait, car il avait compris que c’est dans l’amour que réside la paix.
Un jour, le père, dégoûté de la conduite de ses fils, leur dit : “ Vous vous êtes désintéressés des parents de votre mère et même de votre frère. Vous me rappelez la conduite[5] des fils de Jacob envers leur frère Joseph. Je veux me rendre dans ce pays pour avoir de ses nouvelles ; il se peut que je le retrouve et que j’en sois réconforté. ” Et il prit congé tant de ses fils que du jeune inconnu, en donnant à ce dernier un petit capital pour qu’il puisse retourner à l’endroit d’où il était venu et y ouvrir un petit commerce.
Lorsque il fut arrivé à la ville de l’épouse qu’il avait perdue, la famille de celle-ci lui raconta que le fils délaissé, qui portait à sa naissance le nom de Moïse, avait pris celui de Manassé[6], car son père avait oublié d’être juste en l’abbandonnant.
“ Ne me faites pas tort ! On m’avait dit qu’on avait perdu toute trace de l’enfant, et je n’espérais même plus trouver l’un de vous. Mais parlez-moi de lui. Comment est-il ? Est-il devenu fort ? Ressemble-t-il à mon épouse bien-aimée, qui mourut en me le donnant ? Est-il bon ? M’aime-t-il ?
– Pour être fort, il l’est, et il est beau comme sa mère, sauf qu’il a les yeux d’un noir profond. Mais, de sa mère, il a pris jusqu’à sa petite caroube au côté. De toi, au contraire, il a le léger zézaiement. Devenu adulte, il est parti d’ici, aigri par sa situation, ayant des doutes sur l’honnêteté de sa mère et éprouvant de la rancœur à ton égard. Il aurait été bon s’il n’avait eu cette amertume dans l’âme. Il est parti, au-delà des monts et du fleuve, à Trapezius pour…
– A Trapezius, dites-vous ? Dans le Sinope ? Oh ! dites-moi ! J’y étais et j’y ai connu un jeune homme qui zézayait un peu, seul et triste, et si bon sous son apparente dureté. C’est lui ? Dites-le-moi !
– C’est peut-être lui. Recherche-le. Il a au côté droit une caroube proéminente et sombre comme l’avait ta femme. ”
L’homme partit précipitamment dans l’espoir de retrouver encore l’étranger chez lui. Il était parti pour retourner à la colonie de Sinope. L’homme y alla donc, le retrouva, et le fit venir pour découvrir son côté. Il le reconnut. Il tomba à genoux en louant Dieu de lui avoir rendu son fils qui était le meilleur de tous. En effet, les autres ressemblaient de plus en plus à des bêtes, alors que celui-ci était devenu toujours plus saint au cours des mois qui s’étaient écoulés. Et il dit à son bon fils : “ Tu auras la part de tes frères, puisque toi, sans amour de la part de personne, tu t’es rendu plus juste que tout autre. ”
Et n’était-ce pas justice ? Bien sûr que si. En vérité, je vous dis que les vrais enfants du Bien sont ceux qui, rejetés par le monde, méprisés, haïs, critiqués, abandonnés comme bâtards, considérés comme une honte et une mort, savent surpasser les fils qui ont grandi dans la maison, mais qui sont rebelles à ses lois. Ce n’est pas d’appartenir à Israël qui donne droit au Ciel, ni d’être pharisien, scribe ou docteur qui assure ce sort. C’est d’avoir une volonté bonne et de venir généreusement à la Doctrine de l’amour, se renouveler en elle, pour devenir par elle enfant de Dieu en esprit et en vérité.
Vous tous qui écoutez, sachez que beaucoup qui se croient sûrs en Israël seront supplantés par ceux qui sont à leurs yeux des publicains, des prostituées, des Gentils, des païens et des galériens. Le Royaume des Cieux appartient aux personnes qui savent se renouveler en accueillant la Vérité et l’Amour. »
364.10 Jésus se retourne et s’avance vers le groupe des malades prosélytes.
« Pouvez-vous croire en ce que j’ai dit ? demande-t-il à haute voix.
– Oui, Seigneur ! répondent-ils en chœur.
– Voulez-vous accueillir la Vérité et l’Amour ?
– Oui, Seigneur.
– Si je ne vous donnais que cela, seriez-vous satisfaits ?
– Seigneur, tu sais ce dont nous avons le plus besoin. Accorde-nous surtout ta paix et la vie éternelle.
– Levez-vous et allez louer le Seigneur ! Vous êtes guéris au saint nom de Dieu. »
Et, rapidement, il se dirige vers la première porte qu’il trouve, en se mêlant à la foule qui remplit Jérusalem, avant même que la multitude exaltée et stupéfaite qui se trouve dans la cour des Gentils puisse le rechercher en criant des hosannas…
Les apôtres, désorientés, le perdent de vue. Seul Marziam, qui n’a jamais cessé de tenir un pan de son manteau, court à ses côtés, tout joyeux, en disant :
« Merci, merci, merci, Maître ! Merci pour Jean ! J’ai tout écrit pendant que tu parlais. Je n’ai qu’à ajouter le miracle. Oh ! c’est beau ! Vraiment pour lui ! Il en sera si heureux !… »
[1] comme l’année précédente, en 195.4.
[2] ton fils absent : il s’agit de Jean d’En-Dor.
[3] le geste saint, celui de 53.4.
[4] purifiés, comme en Is 6, 6-7.
[5] conduite relatée en Gn 37, 3-28.
[6] Manassé, nom expliqué en Gn 41, 51.