497 - Une heure de découragement de Simon-Pierre (lundi 24 septembre 29)

Evangiles

Pas de correspondance

Date

Lundi 24 septembre 29

Lieu : 

Livias

 

Vision de Maria Valtorta :

497.1 Je ne sais où ils se trouvent : certainement plus dans la vallée du Jourdain, mais déjà sur les montagnes qui la bordent, car je vois la verte vallée et le beau fleuve bleu tout en bas, tandis que les sommets de montagnes élevées se dressent au-dessus du vaste haut plateau qui s’étend en Transjordanie.

Je vois Pierre qui, solitaire sur une petite hauteur, regarde fixement vers le nord-est et soupire avec tristesse. Il a un fagot à ses pieds, qu’il a certainement ramassé dans les bois qui couvrent cette colline. Un petit village se niche dans la verdure. Pierre est vraiment tout à fait accablé. Il finit par s’asseoir sur son fagot et se prend la tête dans les mains, tout replié sur lui-même. Il reste ainsi, perdant la conscience du temps et de toute chose, tellement absorbé qu’il ne remarque même pas le passage de quelques enfants derrière des chevrettes capricieuses. Les enfants l’observent, puis courent derrière leurs chèvres en direction du hameau. Le soleil descend lentement, mais Pierre ne bouge pas.

497.2 Par le sentier qui monte du village sur le coteau, Jésus s’avance. Il marche doucement, évitant de faire du bruit. Il atteint l’endroit où se trouve Pierre, et il l’appelle, en restant debout devant lui :

« Simon ! »

Pierre sursaute et lève un visage troublé :

« Maître !

– Que faisais-tu, Simon ? Tes compagnons sont tous rentrés. Toi seul ne revenais pas et nous étions inquiets, à tel point que ton frère et les fils de Zébédée avec Thomas et Judas se sont dispersés dans la montagne, tandis que mes frères avec Isaac et Marziam sont descendus vers la plaine.

– Je suis désolé… Je suis désolé d’avoir causé de la peine et de la fatigue…

– Tes compagnons t’aiment bien… Et c’est justement Judas qui s’est tracassé le premier et a reproché à Marziam de t’avoir laissé partir tout seul.

– Hmm !…

– Simon, qu’as-tu ?

– Rien, Maître.

– Que faisais-tu ici, sur ce talus, seul, alors que le soir tombe ?

– Je regardais…

– Tu as peut-être regardé, Simon. Mais, maintenant, tu ne regardais pas… Des enfants sont passés près de toi et ils ont presque eu peur que tu ne sois mort tant tu étais ramassé sur toi-même. Ils ont couru à la bergerie qui nous a logés et ils me l’ont dit. Je suis venu… Que regardais-tu, Simon ?

– Je regardais… Je regardais vers Ramoth Galaad, vers Gerasa, Bozra, Arbéla… notre voyage de l’an dernier, si beau, si… Ta Mère qui était avec nous ! Les femmes disciples… Jean d’En-Dor… Le marchand… Même lui était bon et rendait notre voyage agréable… Comme tout a changé ! Quelle différence… et quelle douleur !… Voilà ce que je regardais : le passé.

– Et l’avenir, mon Simon ? »

Jésus s’assied sur le fagot à côté de Pierre et lui passe un bras autour du cou :

« Tu regardais l’horizon… et la tristesse te l’a assombri. Le présent, comme un tourbillon, a fait s’élever des nuages effrayants et t’a caché le souvenir serein, plein de promesses et d’espérances, et cela t’a fait peur. Simon, tu es en proie à une de ces heures de tristesse et de dégoût que notre nature humaine rencontre sur son chemin. Personne n’en est exempt, car ces heures sont suscitées par celui qui hait l’homme. Et plus l’homme sert Dieu, plus Satan cherche à l’effrayer et à le lasser pour le détacher de son ministère. Tu es soumis, toi aussi, à un moment de lassitude… Le martelage continuel de la persécution contre ton Maître te fatigue. Et enfin — tu ignores que ce n’est pas toi, mais le Tentateur —, tu écoutes une voix te murmurer : “ Et demain ? Que sera demain ? ”…

497.3 – Seigneur, c’est vrai. Tu lis dans mon cœur. Mais tu vois aussi que, si je m’interroge, ce n’est pas par crainte pour moi. C’est parce que… Non, je ne pourrai jamais te voir tourmenté… Tu parles souvent de crime, de trahison. Moi… Oh ! je ne suis pas le seul ! Combien, surtout parmi les plus âgés, t’ont demandé de mourir avant de voir leur Roi offensé ? Et moi… tu es tout pour moi, tu sais. Ce qui n’est pas toi ne m’intéresse plus. Il ne s’agit pas, comme dit Judas, de la nostalgie de ma barque et de ma femme… Regarde : tu vois que je dis la vérité. J’ai tant insisté pour obtenir Marziam. Mon humanité voulait avoir au moins un fils adoptif à la place du fils que ma femme ne m’a pas donné, offensant ma virilité qui voulait se perpétuer. Et maintenant, aujourd’hui, moi… je l’aime, oui. Mais si tu me l’enlevais, je ne réagirais pas. Je te dirais seulement… mais non ! Je ne dirais rien !

– Tu me dirais seulement ? Achève.

– C’est inutile, Maître.

– Parle !

– Je dirais : “ Donne-le à celui qui, mieux que moi, le fera grandir en homme juste. ” Rien de plus ! C’est-à-dire… et cela, je te le dis en pleurant, pour lui, pour moi, pour mon frère, et aussi pour Jean et Jacques… et pour les autres, mais nous… nous sommes tes premiers… »

Et Pierre glisse à genoux pour s’appuyer aux genoux de Jésus, les mains levées, paumes vers le haut, suppliant, avec des larmes qui coulent sur ses joues et se perdent dans sa barbe…

« …Je le dis pour nous : fais-nous mourir, emmène-nous avant que nous… Ah ! moi, j’y ai pensé, j’y pense toujours, depuis des mois. Tu vois que cette pensée me ronge et me vieillit, que cette crainte continuelle m’empêche même de dormir. Je pense que, s’il en est vraiment comme tu le dis, je pourrais être moi aussi le traître, ou bien André, Jean, Jacques, ou Marziam… Et si on n’en arrive pas là, je pourrais être l’un de ceux dont tu parlais aussi, il y a trois soirs chez Ananias, l’un de ceux qui arrivent à vouloir qu’on t’enlève ton sang, ou l’un de ceux qui par lâcheté ne savent pas s’y opposer et qui, par peur du mal, donnent leur consentement au mal… Moi… si je devais seulement consentir par absence de réaction, par peur… Maître ! Mon Maître, je me tuerais pour me punir, ou bien… si je rencontrais tes assassins, je les tuerais. Si tu ne le veux pas, fais-moi mourir avant, tout de suite, ici… La vie n’est rien, mais manquer à l’amour pour toi… Etre l’un d’eux… être… voir et ne pas… »

Il est si agité que même les mots lui manquent. Il se penche, le visage sur les genoux de Jésus, pleurant les larmes âpres d’un homme rude, âgé, peu habitué à cela et bouleversé par trop de sentiments.

497.4 Jésus pose sa main sur sa tête, comme pour calmer cette douleur et dissiper les pensées perturbatrices, et il lui dit :

« Mon ami, crois-tu que, même s’il devait arriver que… tu ne sois pas parfait à cette heure-là, que le Seigneur, qui est juste, ne mettrait pas en balance ton erreur et le poids de ton amour et de ta volonté présentes ? Et crains-tu que l’or de cet amour et de cette volonté ait moins de poids que ton imperfection momentanée, et qu’il ne suffirait pas à obtenir l’indulgence de Dieu, et avec l’indulgence tous les secours pour redevenir toi-même, mon Simon bien-aimé ?

– Fais-moi mourir ! Sauve-moi ! J’ai peur !

– Tu es ma Pierre, Simon. Puis-je, moi, effriter la pierre sur laquelle je dois fonder celle qui doit me perpétuer sur la terre, mon Eglise ?

– J’en suis indigne. Je le sens. Je suis un pauvre homme, ignorant, pécheur. Toutes les tendances mauvaises sont en moi. Je ne suis pas digne, je ne suis pas digne ! Je deviendrai pervers, homicide, tout ce qu’il y a de pire… Fais-moi mourir. Comprends que, si je devais découvrir celui qui te hait…

– C’est tout un monde qui me hait, Simon. Il faut pardonner.

– Je parle du principal coupable. Il doit y en avoir un qui est le principal, et…

– Il y aura de nombreux un, et tous y joueront un rôle principal.

– Quel rôle ? Celui de… Oh ! ne me le fais pas dire ! Mais moi…

– Mais tu dois pardonner, comme moi et avec moi. Pourquoi te troubles-tu ainsi, Simon, en pensant à ce que tu pourrais faire pour punir ? Laisse ce soin au Seigneur. Toi, aime et pardonne, compatis et pardonne. Eux, tous ceux qui seront coupables envers ton Jésus, ont tant besoin d’être aidés pour obtenir le pardon !

– Il n’y a pas de pardon pour eux.

– Oh ! Comme tu es sévère avec tes frères, Simon ! Bien sûr que le pardon existe pour eux aussi, s’ils se repentent ! Malheur, si tous ceux qui m’offensent ne pouvaient être pardonnés ! 497.5 Allons, lève-toi, Simon. La peine de tes compagnons s’est sûrement accrue en voyant que, moi aussi, je ne suis plus au bercail. Mais, quitte à les faire souffrir quelque temps encore avant d’aller les trouver, prions. Prions ensemble. Il n’y a rien d’autre à faire pour retrouver paix, force spirituelle, amour, compassion… même envers nous-mêmes. La prière met en fuite les fantômes de Satan, elle nous fait nous sentir près de Dieu. Et avec Dieu près de soi, on peut tout affronter et supporter avec justice et mérite. Prions ainsi, toi et moi ensemble, ici sur cette montagne d’où la vue s’étend sur une si grande partie de notre patrie, comme du haut du mont Nébo la Terre Promise s’est découverte à la vue de Moïse. Nous, qui sommes plus chanceux que lui, nous apportons à cette terre qui appartiendra au Christ, la Parole et le Salut. Moi pour commencer, et toi ensuite. Regarde ! Dans les dernières lueurs du jour, on distingue encore les monts de Judée. Mais, au-delà, il y a la plaine, la mer, et puis d’autres terres, le monde… Tous t’attendent, Pierre. Ils t’attendent pour savoir qu’il existe un vrai Dieu, un Dieu qui apportera la lumière véritable aux âmes qui marchent à tâtons dans la nuit du paganisme et de l’idolâtrie. Vois : sur la terre, la lumière s’affaiblit. Comment les voyageurs pourraient-ils ne pas perdre la direction par une nuit sans lumière ? Mais voici l’étoile Polaire. Elle se lève déjà pour guider les voyageurs. Ma religion sera l’étoile qui guidera les voyageurs spirituels sur la route du Ciel. Et tu seras uni à elle au point d’être une seule lumière avec moi et avec ma Doctrine, ô mon Pierre, ma Pierre bénie. Prions pour cette heure où les hommes seront sauvés grâce à mon nom. “ Notre Père, qui es aux Cieux ”… »

Il dit lentement le Notre Père en tenant Pierre par la main, et on dirait qu’il le présente au Père, en élevant ainsi les bras et les mains, avec dans sa main droite la main gauche de l’apôtre.

497.6 « Maintenant descendons, et laissons ici les vaines tristesses et les soucis inutiles du lendemain. Avec notre pain quotidien, le Père nous donnera demain, chaque jour, ses secours. En es-tu convaincu, Simon ?

– Oui, Maître, je le crois » dit avec fermeté Pierre, dont le visage n’est plus troublé, mais austère, comme il l’est depuis plusieurs mois, ce qui lui donne un aspect bien différent du pêcheur rustre et jovial qu’il était les deux premières années.

Ils descendent, Jésus devant, Pierre derrière avec son fagot, et presque à la première maison du village ils trouvent les apôtres en émoi.

« Mais où étais-tu parti ? crient-ils à Pierre.

– Nous aurions pu être ici depuis longtemps, mais je me suis arrêté pour parler avec lui, en regardant vers Gerasa… » répond pour lui Jésus.

Ils tournent à droite, vers un bercail à moitié démoli. A l’intérieur d’une palissade en partie écroulée et pour le reste moisie et chancelante se trouve un hangar aux parois grossières, mal couvert, mal clos par des murs sur trois côtés, et par des planches sur le quatrième.

A l’intérieur, il n’y a qu’un peu de paille sur le sol, et dans un coin un foyer primitif.

Je suppose qu’ils n’ont pas été accueillis dans le village et qu’ils se sont réfugiés ici…