397.1 En une tranquille matinée, Jésus parle à la population de Yutta. On peut vraiment dire que Yutta tout entière est à ses pieds. Les bergers, habituellement dispersés sur les mamelons des montagnes, sont là eux aussi, en arrière de la foule avec leurs brebis. Même ceux qui d’habitude vont ailleurs, aux champs, dans les bois, aux marchés, sont présents. Il y a encore les vieillards croulants et, tout autour de Jésus, les enfants rieurs, les fillettes, les jeunes mariées, ainsi que celles qui mettront bientôt au monde un enfant et celles qui le portent sur leur sein : Yutta tout entière est là.
L’éperon de la montagne qui s’étend vers le sud est l’amphithéâtre qui accueille ce paisible rassemblement. Assis sur l’herbe ou à cheval sur le muret de pierres sèches, avec autour un vaste horizon et, au-dessus, le ciel sans limites, en bas le torrent qui rit et scintille au soleil du matin, dans la beauté des monts herbeux, boisés, les habitants de Yutta écoutent le Maître parler. Il se tient debout, adossé à un haut noyer, et la blancheur de son vêtement de lin se détache sur le tronc sombre. Il a le visage souriant, les yeux brillants de la joie d’être aimé, les cheveux illuminés par la caresse des rayons venant de l’orient. Dans un silence respectueux, attentif, rompu seulement par le chant des oiseaux et le bruit du torrent qui coule en bas, ses paroles descendent lentement dans les cœurs, et sa voix parfaite emplit l’air tranquille de son harmonie.
Pendant que j’écris, il est en train de répéter, une fois de plus, la nécessité d’obéir au Décalogue, dont l’application aux cœurs est perfectionnée par sa doctrine d’amour “ pour édifier dans les âmes la demeure où le Seigneur habitera, jusqu’au jour où ceux qui auront été fidèles à la Loi iront habiter en lui dans le Royaume des Cieux.” Ce sont ses mots. Et il poursuit :
« Car il en est ainsi : la demeure de Dieu dans les hommes et des hommes en Dieu se fait par l’obéissance à sa Loi, qui commence par un commandement d’amour et qui est entièrement amour, du premier au dernier précepte du Décalogue. C’est la vraie maison que Dieu veut, là où Dieu habite, et la récompense du Ciel, obtenue par l’obéissance à la Loi, est la vraie Maison où vous habiterez avec Dieu, éternellement.
Car — rappelez-vous le chapitre 66 d’Isaïe — Dieu n’a pas de demeure sur la terre, qui n’est qu’un escabeau pour son immensité, rien qu’un marchepied. Et il a pour trône le ciel, qui, lui aussi, n’est qu’un petit rien pour contenir l’Infini, mais il l’a dans le cœur des hommes.
Seule la très parfaite bonté du Père de tout amour peut accorder à ses fils de l’accueillir. Et c’est un mystère infini — qui se perfectionne de plus en plus — que le Dieu un et trine, le très pur Esprit triniforme, puisse se trouver dans le cœur des hommes. Ah ! quand, Père Saint, me permettras-tu de transformer ceux qui t’aiment non plus seulement en temple pour notre Esprit mais, grâce à ta perfection d’amour et de pardon, en tabernacle, en faisant de tout cœur fidèle l’arche où se trouve le vrai Pain du Ciel, comme il le fut dans le sein de celle qui est Bénie entre toutes les femmes ?
397.2 Disciples bien-aimés de Yutta qui m’a été préparée par un juste, ayez à l’esprit le prophète et ce qu’il dit. C’est en effet le Seigneur qui parle. Il s’adresse à ceux qui édifient des temples de pierre vides, où il n’y a ni justice ni amour, mais ne savent pas construire en eux-mêmes le trône de leur Seigneur par l’obéissance à ses commandements. Le Prophète dit : “ Qu’est-ce que cette maison que vous me bâtissez et qu’est-ce que ce lieu de mon repos ? ” Et il veut dire : “ Croyez-vous me posséder parce que vous m’élevez de pauvres murs ? Croyez-vous me rendre heureux par vos pratiques mensongères auxquelles ne correspond pas la sainteté de la vie ? ” Non. On ne possède pas Dieu par des représentations extérieures qui cachent des plaies et du vide, comme un manteau d’or jeté sur un lépreux ou sur une statue d’argile dont l’intérieur est creux, sans la vie de l’âme.
Le Seigneur dit cela en reconnaissant, lui, le Maître du monde, sa pauvreté de Roi qui a trop peu de sujets, de Père qui a trop de fils qui ont fui sa demeure : “ Vers qui tournerai-je les yeux sinon vers le pauvre, vers celui qui a le cœur contrit et qui tremble à mes paroles ? ” Pourquoi tremble-t-il ? Par la seule peur de Dieu ? Non : par un profond respect, par un amour véritable, par humilité de sujet, de fils, qui reconnaît que le Seigneur est le Tout et que lui n’est rien et qui tremble d’émotion en se sentant aimé, pardonné, aidé par le Tout.
Ne cherchez pas Dieu parmi les orgueilleux ! Il n’est pas là. Ne le cherchez pas parmi les cœurs de pierre. Il n’est pas là. Ne le cherchez pas parmi ceux qui sont endurcis. Il n’est pas là. Il est chez les simples, chez les purs, chez les miséricordieux, chez les pauvres en esprit, chez les doux, chez ceux qui pleurent sans proférer de malédictions, chez ceux qui recherchent la justice, chez les persécutés, chez les pacifiques. C’est là qu’est Dieu. Il est en ceux qui se repentent, veulent être pardonnés et cherchent l’expiation. Eux ne sacrifient pas un bœuf ou une brebis, ils n’offrent pas ceci ou cela pour être applaudis, par quelque terreur superstitieuse d’un châtiment, par orgueil de paraître parfaits. Mais ils font le sacrifice de leur cœur contrit et humilié, s’ils sont pécheurs, et de leur cœur obéissant jusqu’à l’héroïsme, s’ils sont justes. Voilà ce qui plaît au Seigneur. Voilà pour quelles offrandes il se donne avec ses ineffables trésors d’amour et de délices surnaturelles. Aux autres, il ne se donne pas. Eux ont déjà savouré leurs pauvres délices dans les abominations, et il est inutile que Dieu les appelle sur ses chemins, puisqu’ils ont déjà trouvé le leur. A eux, il n’enverra que l’abandon, l’épouvante et la punition, parce qu’ils n’ont pas répondu au Seigneur, ils n’ont pas obéi, ils ont fait le mal sous les yeux de Dieu, avec le mépris et la perversité qu’ils ont choisis.
397.3 Mais vous, habitants bien-aimés de Yutta, vous frémissez d’amour dans la connaissance de Dieu. A cause de moi, vous êtes pris pour des fous et méprisés par les puissants, mais vous continuez à m’aimer malgré la dérision. Vous êtes repoussés, et le serez de plus en plus à cause de mon nom et de moi, répudiés comme des bâtards d’Israël, comme des renégats de Dieu, alors que c’est justement en vous et en ceux qui vous ressemblent qu’est greffé le sarment de la Vie éternelle, de Celui qui a sa racine dans le Père. Vous êtes donc une partie de Dieu, vous êtes de Dieu, vous qui vivez de sa sève, vous à qui on voudrait faire croire que vous êtes dans l’erreur. Ils souhaiteraient se justifier à vos yeux — qui sont simples mais éclairés par la grâce — pour ne pas paraître sacrilèges et malfaiteurs, car il est dit de vous : “ Que le Seigneur montre sa gloire et nous le reconnaîtrons par votre joie elle-même. ” Vous seuls connaîtrez cette joie. Eux seront confondus.
Ah ! J’entends déjà, après la confusion qui les terrassera mais ne les rendra pas meilleurs, j’entends déjà les vipères qui ne cessent d’être nuisibles que lorsqu’on a écrasé leurs têtes exécrables, et qui mordent et tuent même si elles sont coupées en deux, même s’il n’émerge que leurs têtes d’une manifestation accablante de Dieu, je les entends déjà crier : “ Comment le Seigneur peut-il avoir enfanté tout d’un coup son nouveau peuple, si nous, qui sommes portés depuis si longtemps dans son sein, nous ne sommes pas encore nés à la Lumière ? Est-il possible d’enfanter sans que le cri des douleurs remplisse la maison ? Le Seigneur a-t-il pu enfanter avant le temps ? La terre peut-elle donc enfanter en un seul jour ? est-ce qu’un peuple entier peut être enfanté en même temps ? ”
Je réponds à cela — souvenez-vous-en pour le répéter à ceux qui vous persécuteront et vous tourneront en dérision — : “ Ceux qui sont un fruit mort dans le sein de Dieu n’auraient jamais pu naître à la Lumière : ce fruit s’est desséché parce qu’il s’est détaché de sa matrice et est resté improductif, comme un mal caché dans le sein au lieu d’être un embryon qui se développe. Et pour rejeter de son sein la semence morte et avoir des enfants, afin que son nom ne meure pas sur la terre, Dieu s’est donné une fécondité de nouveaux fils, marqués de son Tau. Et, dans le secret, dans le silence, pour que Satan et les satans qui servent Lucifer ne puissent nuire, en devançant le temps par l’ardeur de son amour, il a enfanté son Fils et en même temps son nouveau peuple. Car le Seigneur peut tout. Il le dit par la bouche du prophète Isaïe : “ ne pourrais-je donc pas enfanter, moi qui fais enfanter les autres ? Moi qui donne aux autres la fécondité, serais-je stérile ? ”
Réjouissez-vous avec la Jérusalem des Cieux, exultez avec elle, vous tous qui aimez le Seigneur ! Réjouissez-vous avec elle d’une vraie joie, vous qui attendez, vous qui espérez, vous qui souffrez !
397.4 Ah ! retournez, retournez vers moi, paroles ! Paroles venues du Verbe de Dieu, paroles proclamées par le héraut de Dieu : Isaïe, son prophète. Venez, revenez à la Source, paroles éternelles, pour être répandues sur ce parterre de Dieu, sur ce troupeau, sur cette lignée !
Venez ! C’est pour cette heure et pour une telle assemblée que vous avez été dites, ô paroles prophétiques, ô résonances d’amour, ô voix de vérité !
Voici qu’elles viennent ! Voici qu’elles retournent à Celui qui les a inspirées ! Voici que moi, au nom du Père, de mon Etre, et de l’Esprit, je les dis à ces bien-aimés de Dieu, choisis dans le troupeau du Seigneur, qui ne devait compter que des agneaux, et s’est corrompu avec des boucs et des animaux encore plus impurs. Vous boirez et serez rassasiés au sein de la Consolation divine et vous tirerez d’abondantes délices de la gloire multiforme de Dieu.
Voilà ! Le Seigneur vous dit : “ Je déverserai sur vous comme un fleuve de paix et tel un torrent qui déborde, il y aura sur vous beaucoup plus que la gloire des nations. La gloire du Ciel vous inondera. Vous la goûterez, portés sur son cœur, et sur ses genoux vous recevrez ses caresses. Oui, comme une mère caresse son enfant, comme moi je caresse ce bébé à qui j’ai donné mon nom (et Jésus prend le petit Jésaï des bras de sa mère qui est presque à ses pieds, au milieu de ses trois enfants), ainsi je vous consolerai, vous qui m’aimez et continuerez à m’aimer. Bientôt, c’est dans mon Royaume que vous serez consolés pour toujours. Vous le verrez, et votre cœur sera dans la joie, vos os reverdiront comme l’herbe, étant libérés de toute peur grâce à votre fidélité, quand le Seigneur viendra dans le feu, sur un char semblable à un tourbillon, pour conduire dans le feu de l’amour et de la justice, et pour punir ou exalter, en séparant les agneaux des loups, c’est-à-dire de ceux qui croyaient se sanctifier et se purifier, et qui, au contraire, se rendaient idolâtres.
Le Seigneur, qui part maintenant, reviendra, et bienheureux ceux qu’il trouvera persévérants jusqu’à la fin.
Je vous fais ainsi mes adieux et je vous donne ma bénédiction. Agenouillez-vous pour que je vous fortifie par elle. Que le Seigneur vous bénisse et vous garde. Que le Seigneur vous montre sa face et vous prenne en pitié. Que le Seigneur vous donne sa paix. Allez ! Laissez-moi congédier les bons d’entre les bons de Yutta. »
397.5 Les gens partent à regret. Mais voilà qu’un enfant dit à Jésus :
« Seigneur, laisse-moi te baiser la main. »
Comme Jésus y consent, tous veulent donner un baiser à la sainte chair de l’Agneau de Dieu. Même ceux qui s’étaient éloignés vers le village font demi-tour et c’est une pluie de baisers : baisers d’enfants sur le visage, baisers des vieillards sur les mains, et baisers des femmes sur les pieds nus dans l’herbe, avec des larmes et des paroles d’adieu et de bénédiction. Jésus les accueille patiemment, et il a pour tous une salutation particulière.
Enfin tout le monde est satisfait… Il reste la famille hospitalière… Et elle se serre contre Jésus. Sarah dit :
« Vraiment, tu ne viendras plus ?
– Non, femme, plus jamais. Mais nous ne serons pas séparés. Mon amour sera toujours avec toi, avec vous, et le vôtre avec moi. Vous ne m’oublierez pas, je le sais. Mais je vous le dis : même aux heures les plus terribles qui vont venir, n’accueillez pas le Mensonge, pas même comme hôte de passage ou comme envahisseur imprévu… Donne-moi ton bébé, Sarah. »
La femme lui tend Jésaï, et Jésus s’assied dans l’herbe en le tenant sur son sein. Penché sur les cheveux du bébé, il reprend :
« Rappelez-vous toujours que je suis l’Agneau qu’Isaac vous a fait aimer avant même que vous me connaissiez, et qu’un agneau est toujours innocent, comme cet enfant, même si on le couvre d’une peau de loup pour le faire passer pour un malfaiteur. Souvenez-vous que je suis encore plus innocent que ce tout-petit… Bienheureux est-il, car, grâce à son innocence et à sa jeunesse, il ne pourra comprendre les calomnies des hommes sur son Seigneur, donc n’en sera pas troublé… et il continuera à m’aimer ainsi… comme maintenant… Ayez son cœur, pour l’Agneau, pour l’Ami, pour l’Innocent, pour le Sauveur, qui vous aime et vous bénit d’une manière toute spéciale. Adieu, Marie ! Viens me donner un baiser… Adieu, Emmanuel ! Approche, toi aussi, Joseph… Adieu, Jésaï, agnelet de l’Agneau… Soyez bons… Aimez-moi…
– Tu pleures, Seigneur ? demande la fillette, étonnée, en voyant briller une larme dans les cheveux de Jésaï.
– Il pleure ? demande le mari de Sarah.
– Tu pleures, Maître ! Pourquoi ? demande la femme.
– Ne vous affligez pas de mes larmes. Elles sont amour et bénédiction… Adieu, Sarah. Adieu, Joachim. Venez comme les autres, embrasser votre Ami qui part… »
Après avoir reçu sur les mains les baisers des deux époux, il remet l’enfant dans les bras de sa mère, bénit de nouveau, puis commence à descendre rapidement par le sentier par lequel il était venu.
Les adieux de ceux qui sont restés le suivent jusqu’au bas de la colline : la voix de l’homme est profonde, celle de la femme émue, celle des enfants perçante. Puis on n’entend plus que le torrent, qu’ils remontent vers le nord, et qui salue encore le Maître quittant pour toujours la terre de Yutta.