Immaculée conception ?
Il est difficile de préciser la position de saint Thomas d'Aquin sur ce sujet parce qu'il ne s'est pas partout exprimé de la même manière.
Dans la Somme théologique, saint Thomas d'Aquin soulève une double discussion :
- Jésus est le sauveur de tous les hommes, donc aussi de Marie.
- Parler de la « conception » pose problème, tout se joue après « l'animation ».
Il faut savoir que les médiévaux distinguaient la conception et l'animation.
Nous savons aujourd'hui que l'instant où un spermatozoïde entre dans l'ovule précède de plusieurs heures l'instant où les deux génomes (celui du père et celui de la mère) se sont véritablement croisés pour former un génome nouveau, différent de celui du père et différent de celui de la mère, apparaît alors le zygote, premier stade de l'individu. Ainsi, le premier instant correspond à ce que les médiévaux appellent « conception » et le second instant à « l'animation ».
Une fois cette distinction faite entre la conception et l'animation, il est difficile de parler de l'entre deux ! Car entre les deux instants il n'y a pas de « créature raisonnable » (au sens médiéval du terme) c'est à dire qu'il n'y a encore d'être humain capable de se fermer à la grâce divine ou nécessitant un salut.
Toutes ces discussions ne seraient sans doute pas survenue si l'on avait connu et gardé l'enseignement des pères orientaux sur la création de l'homme, et notamment saint Grégoire de Nysse.
A la fin de sa vie, saint Thomas parle de Marie conçue dans le péché originel mais pure dans le sein de sa mère (sans péché), on voit qu'il joue encore sur cette curieuse distinction entre la conception et l'animation ; néanmoins, il est véritablement très proche de la perspective du futur dogme...
La sanctification de la Bienheureuse Vierge n'a pu s'accomplir avant son animation :
« La sanctification de la Bienheureuse Vierge n'a pu s'accomplir avant son animation pour deux raisons :
1 La sanctification dont nous parlons désigne la purification du péché originel; en effet, d'après Denys la sainteté est " la pureté parfaite ". Or la faute ne peut être purifiée que par la grâce, et celle-ci ne peut exister que dans une créature raisonnable. C'est pourquoi la Bienheureuse Vierge n'a pas été sanctifiée avant que l'âme rationnelle lui ait été donnée.
2 Seule la créature raisonnable est susceptible de faute. Le fruit de la conception n'est donc sujet à la faute que lorsqu'il a reçu l'âme rationnelle. Si la Bienheureuse Vierge avait été sanctifiée, de quelque manière que ce fût, avant son animation, elle n'aurait jamais encouru la tache de la faute originelle. Ainsi elle n'aurait pas eu besoin de la rédemption et du salut apportés par le Christ, dont il est dit en S. Matthieu (Mt 1,21): "Il sauvera son peuple de ses péchés." Or il est inadmissible que le Christ ne soit pas "le sauveur de tous les hommes" (1Tm 4,10). Il reste donc que la sanctification de la Bienheureuse Vierge Marie s'est accomplie après son animation. »
(St Thomas d'Aquin, Somme Théologique, III Qu.27 a.2)
Ceci dit, Marie a obtenu du Christ la plénitude de grâce :
« Plus on est proche du principe, en n'importe quel genre, plus on participe de son effet. Ainsi Denys dit-il que les anges qui sont tout près de Dieu participent des bontés divines plus que les hommes. Or le Christ est principe de la grâce: par sa divinité comme premier auteur; par son humanité comme instrument: "La grâce et la vérité sont venues par Jésus Christ" (Jn 1,17). Or la Vierge Marie fut la plus proche du Christ selon l'humanité, parce qu'il a reçu d'elle la nature humaine. Et c'est pourquoi elle devait obtenir du Christ, plus que tous les autres, plénitude de grâce. »
(St Thomas d'Aquin, Somme Théologique, III Qu.27 a.5, resp)
A la fin de sa vie, saint Thomas enseigna :
« Après Jésus-Christ, elle évita le péché d'une manière plus parfaite que nul autre saint.
Le péché, en effet, est, ou originel, et elle fut pure dès le sein de sa mère [Texte latin : Peccatum enim aut est originale, et de isto fuit mundata in utero], ou mortel ou véniel, et elle fut exempte de ceux-ci.
C'est pourquoi il est écrit au livre des Cantiques, chapitre IV: "Vous êtes toute belle, ma bien-aimée, il n'y a pas en vous de souillures."
Saint Augustin dit, dans son livre de la Nature et de la Grâce: "Si, excepté la vierge Marie, on interrogeait tous les saints et saintes qui ont vécu ici-bas s'ils ont été sans péchés, ils s'écrieraient d'une voix unanime: Si nous disons que nous sommes sans péché, nous nous trompons nous-mêmes, la vérité n'est pas en nous. Exceptez donc, dis-je, cette Vierge, de laquelle, pour l'honneur du Seigneur, quand il s'agit du péché, je ne veux nullement parler."
Nous savons qu'il lui a été donné plus de grâce pour vaincre le péché, sous quelque forme qu'il se présentât; elle a mérité de concevoir et d'enfanter celui qui, comme il est constant, ne fut souillé d'aucun péché.
Mais Jésus-Christ l'a emporté sur la bienheureuse Vierge, en ce qu'il a été conçu et qu'il est né sans le péché originel; pour la bienheureuse Vierge, elle a été conçue dans le péché originel, mais elle n'est pas née en lui. »
Saint Thomas d'Aquin, Commentaire de la salutation angélique,
traduction par l'Abbé Bralé, Editions Louis Vivès, 1857
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Synthèse par F. Breynaert