Nous suivons H. Jaeger, attaché de recherches au centre national de recherches scientifiques (CNRS).
L'idéalisme allemand est habituellement considéré comme une philosophie, neutre par conséquent. Et pourtant, Kant, fondateur de l'idéalisme transcendantal, semble traduire en concepts philosophiques le luthéranisme et le piétisme luthérien qu'il a reçu par son éducation.
Kant (†1804)[1] et le sujet transcendantal.
Sur un plan mystique pour Luther (†1546), le problème de la justification est la foi personnelle (l'expérience du « tes péchés te sont remis »), de la même manière mais sur un plan philosophique, Kant traite de manière exhaustive le problème de l'expérience et des conditions de l'expérience (les transcendantaux).
Luther ne donnait pas de consistance métaphysique à la personne ; pétri de cette pensée protestante, Kant ne nous renseigne pas sur les rapports entre le sujet transcendantal et le sujet réel.
La mystique Luther se vit avec une théologie de la croix sans théologie de la gloire (c'est-à-dire sans jouissance béatifiante de Dieu). Comme un reflet sur un plan philosophique, Kant refuse toute finalité intellectuelle et morale, et tout particulièrement la jouissance béatifiante.
L'idéalisme de Kant est aussi la traduction conceptuelle des attitudes religieuses protestantes postérieures à Luther (souvent en réaction à Luther), à commencer par le piétisme luthérien.
Sur un plan spirituel, les piétistes avaient mis la piété (et le sentiment religieux) à la place de la foi (ce qui dénaturait la doctrine de Luther). La mère de Kant était piétiste. De l'exaltation du sentiment religieux à l'exaltation du génie arbitraire de l'artiste, il n'y a qu'un pas. Sur un plan philosophique, Kant, dans la « Critique du jugement » fait du génie arbitraire de l'artiste sa propre finalité.
D'autres héritiers de Luther, charismatiques, illuministes ou gnostiques, avaient réagi contre la justification extrinsèque de Luther en valorisant la parole intérieure. Nous pouvons percevoir que lorsque Kant valorise la lumière intérieure de la raison autonome, jusqu'à résumer la morale dans la simple conviction, sans apport de la raison, Kant ne fait que traduire en concepts philosophiques la vie spirituelle de ce qui encore une postérité de Luther (une postérité qui prend le contre-pied).
Ainsi, il apparaît que l'idéalisme de Kant est la traduction conceptuelle des attitudes religieuses de Luther ou de celles de sa postérité, quels que soient les paradoxes qui en découlent.
Schelling (†1854)[2] et le mysticisme spéculatif.
Luther, en parlant d'une justification extrinsèque, avait laissé en suspens la consistance propre de l'identité d'une personne humaine.
Schelling va tenter une philosophie du moi et de l'identité personnelle, en se nourrissant des penseurs monistes de la théosophie protestante (Paracelse, Boehme, la cabale chrétienne). Dieu et l'univers sont « produits » par la conscience de soi. L'homme et la divinité fusionnent.
Dans un tel contexte, le sens du péché réapparaît sous la forme d'un fond abyssal en Dieu (Ungrund) ; si telle est l'origine du mal, Schelling est obligé de parler d'un « Dieu en devenir ».
Hegel (†1831)L’idéalisme allemand : des mystiques protestantes aux concepts philosophiques[3] et la dialectique.
Du « Dieu du devenir » dont parlait Schelling, Hegel fait un dogme : la vie divine se développe dans l'histoire et y prend conscience d'elle-même.
La redécouverte de maître Eckhart au XIX° et XX° siècle.
Après avoir découvert maître Eckhart (1260-1328), Hegel s'écrie « voilà, nous avons ce qu'il nous faut ! »
Maître Eckhart est comparé à Lao-Tseu, Bouddha, Spinoza, Goethe...
Eckhart parlait de la naissance de Dieu dans l'âme, mais ses nouveaux interprètes (nourris de Schelling et Boehme) en font une lecture moniste : le véritable « moi » doit fusionner, en-deçà de l'intelligence et de la volonté, avec la totalité de ce qui n'est pas lui-même. Au moment de la naissance de la « conscience de soi », Dieu, l'homme et l'univers forment une unité indéfinie, un chaos antérieur à la création.
Rudolf Steiner (1861-1925)[4] et le mouvement anthroposophique.
Rudolf Steiner (1861-1925) mêle dans une même attitude moniste la pensée de Boehme (1575-1624) et de Schelling (1775-1854), avec la spiritualité hindoue.
Il y a donc à partir de la mystique luthérienne d'étranges dérives qui conduisent progressicement au monisme, élaboré savamment en système philosophique.
Le monisme est aux antipodes de l'attitude biblique :
- Le monisme recherche la fusion du « Je » et du « TU » divin.
- L'attitude biblique découvre l'Alliance entre le « Je » et le « TU » divin.
Le calvinisme, qui offre une théologie biblique et notamment une forte théologie de l'Alliance, a nettement moins donné prise à de telles dérives monistes.
Conclusion.
En une page, il n'est pas possible de rendre compte de l'oeuvre très volumineuse des différents philosophes évoqués. Il n'est possible que de montrer l'enchainement de la pensée et d'offrir des clés de lectures simples et qui aident à s'orienter.
Tout comme il y a un développement du dogme, il y a aussi un développement de l'erreur et de l'hérésie. C'est pourquoi nous ne sommes jamais assez vigilants sur le point de départ et sur l'observation de qui est l'être humain.
Fidèles à la vocation de ce site, nous regardons Marie, point de départ, et point de repère...
La Vierge Marie est par excellence la femme de l'Alliance.
D'une part, sa personnalité n'a pas été écrasée par l'irruption du divin au moment de l'Annonciation, au contraire, l'ange attendit sa réponse.
D'autre part, Marie est une femme de foi, elle n'a jamais revendiqué une autonomie de la raison, elle n'a jamais fait de son génie personnel la finalité de sa vie : elle aimait, car l'Alliance est Amour.
[1] Emmanuel Kant né à Königsberg (Prusse orientale) en 1724, il y est mort en 1804. Résumé de H. JAEGER, « Mystique protestante et anglicane », dans Aa Vv, La mystique et les mystiques, DDB, Paris 1965, p. 322-325.
[2] Friedrich Wilhelm Joseph von Schelling est né en 1775 près de Stuttgart, en Allemagne, et mort en 1854 à Bad Ragaz, en Suisse. Résumé de H. JAEGER, Ibid., p. 326-329.
[3] Georg Wilhelm Friedrich Hegel est né en 1770 à Stuttgart et il est mort en 1831 à Berlin. Résumé de H. JAEGER, Ibid., p. 329-331
[4] Résumé de H. JAEGER, Ibid., p. 333
Synthèse F. Breynaert