La critique de Nietzsche n'a pas de prise

La critique de Nietzsche n'a pas de prise

Nietzsche voudrait voir dans la théologie du sacrifice une sorte de compensation recherchée par un individu faible ou par un peuple faible. Un tel soupçon est-il tenable ?

Un juste souffre et meurt de mort infâme (Isaïe 53).

Le peuple autour du second Isaïe refuse de conclure que le serviteur est pécheur, comme l’aurait voulu l’interprétation deutéronomiste alors dominante.

Celui qui est mort recherchait simplement la restauration d’Israël, restauration qui devait éclairer les nations (Isaïe 42). Il meurt parce qu’il n’a pas reculé devant l’éventualité de la mort, il a offert sa vie, il l’a livré.

Ce sont les autres, autour du prophète Isaïe, qui interprètent la mort du juste dans une théologie radicalement neuve : le sacrifice fait réussir le dessein de Dieu (Isaïe 53,10).

La théologie naissante ne répond pas au schéma : nous sommes exilés, rapatriés, humiliés, nous souffrons et nous cherchons une compensation, une utilité, une récompense.

Le peuple n’a aucune compensation pour lui-même, la théologie naissante est une méditation au sujet de la mort de son chef.

La transfiguration de la souffrance dans le cœur de Dieu échappe donc au soupçon de Nietzsche.

Avec son prophète, le peuple fait une confession de ses péchés, une théologie humble, reconnaissante pour le sacrifice du Serviteur, appelant à une vraie conversion, à un courageux engagement.

De plus, loin d’être une compensation facile, le texte engage les croyants dans les voies de la résistance, voire du martyre.

A l’époque grecque, la théologie du serviteur souffrant est appliquée à une collectivité mais elle échappe aussi à la critique de Nietzsche. Loin d’être une compensation facile à une situation de fait, cette théologie engage les croyants dans les voies de la résistance, voire du martyre, et ce n’était pas un vain mot au temps des persécutions d’Antiochus Epiphane.

Jésus fut persécuté, menacé de lapidation plusieurs fois avant sa Passion. Mais il n'est pas seulement un martyr, il n'a pas fui en Décapole ou en Syrie, il est librement monté à Jérusalem, connaissant les machinations de ses adversaires, sachant que son heure était venue. Il a fait de sa mort un sacrifice, parce qu'il savait que ce sacrifice serait Grâce, Lumière, Amour, Rédemption.

Tout aussi fortes sont les pensées qui ont animées Marie sa mère, qui se tenait debout au pied de la croix.


Françoise Breynaert