Pleine de grâce (St Thomas d'Aquin)


 

Saint Thomas d'Aquin (1225-1274)  a donné à la fin de sa vie un commentaire de l’Ave Maria. Il commente notamment l’expression de l’ange Gabriel à Marie lors de l’Annonciation: " comblée de grâce, " (Luc 1, 28).

 

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Saint Thomas d'Aquin a commenté[1] la salutation de l'ange à Marie, notamment l'expression « pleine de grâce ».

Cet enseignement est ordonné en trois temps :

Premièrement, Marie est complètement victorieuse du péché parce qu'elle est pleine de grâce[2].

En deuxième lieu, Marie devient mère de Dieu par la plénitude de la grâce qui l'habite.

En troisième lieu, Marie intercède efficacement pour toute l'humanité parce que justement elle est infiniment riche de la grâce.

La bienheureuse Vierge est pleine de grâce quant à trois choses.

[Marie, pleine de grâce]

Premièrement, quant à l'âme, dans laquelle elle eut la plénitude de la grâce. Dieu, de fait, donne la grâce pour deux choses, à savoir, pour faire le bien et pour éviter le mal; et, pour ce qui est de ces deux choses, la bienheureuse Vierge eut la grâce la plus parfaite.

Après Jésus-Christ, elle évita le péché d'une manière plus parfaite que nul autre saint.

Le péché, en effet, est, ou originel, et elle fut pure dès le sein de sa mère [Texte latin : Peccatum enim aut est originale, et de isto fuit mundata in utero], ou mortel ou véniel, et elle fut exempte de ceux-ci.

C'est pourquoi il est écrit au livre des Cantiques, chapitre IV: "Vous êtes toute belle, ma bien-aimée, il n'y a pas en vous de souillures."

Saint Augustin dit, dans son livre de la Nature et de la Grâce:

 "Si, excepté la vierge Marie, on interrogeait tous les saints et saintes qui ont vécu ici-bas s'ils ont été sans péchés, ils s'écrieraient d'une voix unanime: Si nous disons que nous sommes sans péché, nous nous trompons nous-mêmes, la vérité n'est pas en nous. Exceptez donc, dis-je, cette Vierge, de laquelle, pour l'honneur du Seigneur, quand il s'agit du péché, je ne veux nullement parler."

Nous savons qu'il lui a été donné plus de grâce pour vaincre le péché, sous quelque forme qu'il se présentât; elle a mérité de concevoir et d'enfanter celui qui, comme il est constant, ne fut souillé d'aucun péché.

Mais Jésus-Christ l'a emporté sur la bienheureuse Vierge, en ce qu'il a été conçu et qu'il est né sans le péché originel; pour la bienheureuse Vierge, elle a été conçue dans le péché originel, mais elle n'est pas née en lui[3].

La bienheureuse Vierge pratiqua même toutes les vertus d'une manière parfaite; pour les autres saints, ils en pratiquèrent quelques-unes d'une manière plus spéciale; l'un pratiqua surtout l'humilité, l'autre, la chasteté, un autre, la miséricorde; c'est ce qui les fait donner comme les modèles de vertus particulières: ainsi le bienheureux Nicolas est un modèle de miséricorde, etc. Mais la bienheureuse Vierge, elle, est le modèle de toutes les vertus, parce qu'en elle vous trouverez un modèle d'humilité. Il est écrit en saint Luc, chapitre I: "Voici la servante du Seigneur;" et plus loin: "Il a regardé l'humilité de sa servante." Elle est un modèle de chasteté: "Je n'ai connu aucun homme;" elle est, comme il est facile de le voir, le modèle de toutes les vertus. Ainsi donc elle est pleine de grâce, et pour faire le bien, et pour éviter le mal.

[Si pleine de grâce qu’elle conçut le Fils de Dieu]

Elle fut, secondement, pleine de grâce, au point que de l'âme elle rejaillit encore sur la chair ou le corps. Pour les saints, avoir reçu assez de grâces pour sanctifier l'âme, c'est en avoir reçu de grandes; mais l'âme de la bienheureuse Vierge en fut si pleine, que de celle-ci elle se répandit sur la chair, au point que, de cette même chair, elle conçut le Fils de Dieu; ce qui fait dire à Hugues de Saint-Victor: 

"Parce que l'amour du Saint Esprit brûlait dans son cœur, c'est pour cela qu'il opérait dans sa chair des choses merveilleuses, au point que d'elle naquît un Dieu homme."

 Il est écrit en saint Luc, chapitre I : "Le Saint qui naîtra de vous sera appelé le Fils de Dieu."

[Et qu’Elle répand sa grâce sur tous les autres hommes]

Elle en fut pleine, troisièmement, au point d'en répandre sur tous les autres hommes. C'est beaucoup pour chaque saint, quand il a assez de grâce pour qu'elle suffise au salut de plusieurs hommes; mais en avoir qui suffisent au salut de tous les hommes, voilà qui est immense; et c'est ce qui existe en Jésus-Christ et dans la bienheureuse Vierge. Dans toute espèce de périls vous pouvez, en effet, obtenir de la glorieuse Vierge le salut. C'est pour cela qu'il est; dit au livre des Cantiques, chapitre IV: "Mille boucliers, c'est-à-dire mille remèdes sont suspendus contre les périls, etc." Vous pouvez de même l'avoir pour soutien dans toute œuvre de vertu; et c'est ce qui lui fait dire dans l'Ecclésiastique, chapitre XXIV : "En moi est tout espoir de vie et de vertu."

Source :

Saint Thomas d'Aquin, Commentaire de la salutation angélique,
Traduction par l'Abbé Bralé, Éditions Louis Vivès, 1857

NB :  Il  existe deux traductions en langue française :

- Abbé Bralé, Editions Louis Vivès, 1857

- Traduction par un moine de Fontgombault, Nouvelles Éditions Latines, 1978  Édition numérique

 

[1] Ce commentaire se trouve dans « L'opuscule 8 » qui contient les prises de notes par Pierre de Andria des sermons de saint Thomas d'Aquin donnés à Naples, pendant le printemps 1273.

[2] La distinction médiévale entre la conception et l'animation allonge et complique le texte - De nos jours, la redécouverte de St Grégoire de Nysse (Dieu créé dans un acte unique le corps et l'âme), clarifie et simplifie.

[3] Comme beaucoup de scholastiques du XIII° siècle, saint Thomas pensait, et il l'a pensé jusqu'à la fin de sa vie, que la Vierge avait contracté en acte le péché originel et qu'elle en avait été purifiée dès le sein de sa mère. Il le dit à deux reprises dans son explication de la salutation angélique (n°s 6 et 7). Le dogme de l’Immaculée Conception nous enseigne maintenant que la Vierge Marie a été exemptée du péché originel, dès sa conception.

 

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Pour en savoir plus

 

-sur Saint Thomas d'Aquin (1225-1274), docteur de l’Église, dans l’Encyclopédie mariale

-sur l’ Ave Maria, dans l’Encyclopédie mariale

-sur l’ange révère Marie (commentaire de l’Ave Maria), dans l’Encyclopédie mariale

-sur l’expression « bénie entre toutes les femmes » (commentaire de l’Ave Maria), dans l’Encyclopédie mariale

 

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