Thérèse de Lisieux, poète et artiste, utilise toute une symbolique florale au service de sa spiritualité. La nature est pour elle l’occasion d’une réflexion théologique, répondant à ses interrogations sur le mystère des âmes. C’est ainsi que le constat de la diversité et la grandeur ou la petitesse des fleurs du « jardin de Jésus » va lui permettre d’entrer en profondeur dans ce mystère. Elle va donc, s’inscrivant dans une tradition qui date du Moyen Age, créer tout un floraire lui permettant, par un raisonnement analogique, d’exprimer des vérités spirituelles. C’est au début du manuscrit A de l’Histoire d’une âme qu’elle nous livre ce texte.
« Longtemps je me suis demandé pourquoi !e bon Dieu avait des préférences, pourquoi toutes les âmes ne recevaient pas une égale mesure de grâces. Je m'étonnais de le voir prodiguer des faveurs extraordinaires à de grands pécheurs comme saint Paul, saint Augustin, sainte Madeleine et tant d'autres qu'il forçait, pour ainsi dire, à recevoir ses grâces. Je m'étonnais encore, en lisant la vie des saints, de voir Notre-Seigneur caresser du berceau à la tombe certaines âmes privilégiées, sans laisser sur leur passage aucun obstacle qui les empêchât de s'élever vers lui, ne permettant jamais au péché de ternir l'éclat immaculé de leur robe baptismale. Je me demandais pourquoi !es pauvres sauvages, par exemple, mouraient en grand nombre, sans même avoir entendu prononcer le nom de Dieu.
Jésus a daigné m'instruire de ce mystère. Il a mis devant mes yeux le livre de la nature; et j'ai compris que toutes les fleurs créées par lui sont belles, que l'éclat de la rose et la blancheur du lis n'enlèvent pas le parfum de la petite violette, n'ôtent rien à la simplicité ravissante de la pâquerette. J'ai compris que, si toutes les petites fleurs voulaient être des roses, la nature perdrait sa parure printanière, les champs ne seraient plus émaillés de fleurettes.
Ainsi en est-il dans le monde des âmes, ce jardin vivant du Seigneur. Il a trouvé bon de créer les grands saints qui peuvent se comparer aux lis et aux roses; mais il en a créé aussi de plus petits, lesquels doivent se contenter d'être des pâquerettes ou de simples violettes destinées à réjouir ses regards divins lorsqu'il les abaisse à ses pieds. Plus les fleurs sont heureuses de faire sa volonté, plus elles sont parfaites.
J'ai compris autre chose encore... J'ai compris que l'amour de Notre-Seigneur se révèle aussi bien dans l'âme la plus simple, qui ne résiste en rien à ses grâces, que dans l'âme la plus sublime. En effet, le propre de l'amour étant de s'abaisser, si toutes les âmes ressemblaient à celles des saints Docteurs qui ont illuminé l'Eglise, il semble que le bon Dieu ne descendrait point assez bas en venant jusqu'à elles. Mais il a créé l'enfant qui ne sait rien et ne fait entendre que de faibles cris ; il a créé le pauvre sauvage n'ayant pour se conduire que la loi naturelle; et c'est jusqu'à leurs cœurs qu'il daigne s'abaisser!
Ce sont là les fleurs des champs dont la simplicité le ravit ; et, par cette action de descendre aussi bas, le Seigneur Dieu montre sa grandeur infinie.
De même que le soleil éclaire à la fois les cèdres et chaque petite fleur comme si elle était seule sur la terre, de même Notre Seigneur s’occupe aussi particulièrement de chaque âme que si elle n’avait pas de semblable : et comme dans la nature toutes les saisons sont arrangées de manière à faire éclore, au jour marqué, la plus humble pâquerette, de même tout correspond au bien de chaque âme. »
Source :
Thérèse de Lisieux, Histoire d’une âme, manuscrit A
-sur ste Thérèse de Lisieux (1873-1897), docteur de l’Église, dans l’Encyclopédie mariale
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